Infos, anecdotes, bonus : à l'occasion de la sortie de "Prometheus", retour sur l'une des plus célèbres franchises SF. Dossier réalisé par Olivier Pallaruelo, Yoann Sardet & Maximilien Pierrette avec la collaboration de Déborah Le Bloas
De quoi ça parle ?
Le vaisseau commercial Nostromo et son équipage, sept hommes et femmes, rentrent sur Terre avec une importante cargaison de minerai. Mais lors d'un arrêt forcé sur une planète déserte, l'officier Kane se fait agresser par une forme de vie inconnue, une arachnide qui étouffe son visage. Après que le docteur de bord lui retire le spécimen, l'équipage retrouve le sourire et dîne ensemble. Jusqu'à ce que Kane, pris de convulsions, voit son abdomen perforé par un corps étranger vivant, qui s'échappe dans les couloirs du vaisseau...
Dans l'espace, personne ne vous entendra crier...
"La vedette c’est l’Alien". Difficile de contredire son créateur, H.R. Giger. Et pourtant, Alien, le huitième passager n’est pas qu’un film de monstre de plus. Il s’inscrit évidemment dans la grande lignée des films de "menace extraterrestre" (il emprunte notamment à La Chose d'un autre monde, Planète interdite et La Planète des vampires) mais le scénario, la mise en scène, le rythme, les décors, les personnages, la photographie et l’approche de la créature entraînent le film vers un genre hybride, entre la SF et le film d’horreur, entre l’angoisse pure et le film de monstre, entre la série B et le film d’auteur.
L’Alien en lui-même brouille les genres. Le monstre dégage une vraie sensualité en même temps qu’une véritable dangerosité. Comme les dessins de Giger finalement, souvent emprunts d'une "beauté terrifiante". La créature apporte également une dimension très sexuelle au long métrage, avec une morphologie élancée quasi-androgyne, des "attributs" très masculins (une langue mortelle dégoulinante de bave évoquant un appendice érectile) et un mode de reproduction empruntant à la fois au viol (le facehugger) et à l’accouchement (le chestbuster). Le face à face final entre la bête et une Ripley en petite tenue ne manquera pas d’appuyer cette dimension érotico-horrifique. Tout comme les parois organiques et quasi-géntitales de la couveuse dans le mystérieux vaisseau découvert par l’équipage…
Mais plus que la créature (finalement très mystérieuse et très peu "présente" dans le métrage, même si elle hante chaque couloir du Nostromo et chaque rideau de fumée), Ridley Scott s’attache surtout à filmer une ambiance et un cauchemar claustrophobique. Une approche renforcée par l’utilisation de personnages communs, des "messieurs-tout-le-monde de l’espace" loin des archétypes imposés habituellement par le cinéma de genre. Le casting, qui écarte volontairement les stars, participe d’ailleurs de cette volonté de mettre tout le monde à égalité face au monstre. Kane et Dallas, les deux personnages s’approchant le plus de l’image du héros potentiel, seront d’ailleurs ses premières victimes, laissant le champ libre à Ripley, la première héroïne SF majeure. Une icône est née, un monstre de légende est né, un réalisateur est né, un chef d’œuvre est né, une mythologie est née. Vivement la suite…
Le réalisateur
Issu d’une formation en design et graphisme, Ridley Scott fait ses armes à la BBC (comme réalisateur et chef-décorateur) avant de se consacrer à la publicité. Durant dix ans, il s’impose comme l’un des plus grands talents du secteur. C'est en 1977 qu'il effectue son passage au grand écran avec Les Duellistes, qui obtient le Prix du Jury de la première œuvre au Festival de Cannes à l’unanimité. Un plébiscite critique… qui ne s’accompagne malheureusement pas d’un succès public. Marqué par l’échec du film au box-office, le cinéaste décide alors d’abandonner son projet d’adaptation de Tristan & Yseult (qu’il produira... en 2006) pour se consacrer à deux projets de SF (nous sommes en plein boom Star Wars). Ces deux longs métrages seront très élevés au rang de films-culte : Alien, le huitième passager (1979) et Blade Runner (1982). Sur Alien, où il remplace Walter Hill, Ridley Scott apporte sa minutie du détail, son sens de l’image et de l'estéthique, mais aussi une vraie volonté d’ancrer le film dans une approche low-tech (et donc ultra-réaliste). Ici, pas de futur improbable, mais un futur du quotidien, avec des ouvriers de l‘espace confrontés à l’horreur. Très attaché aux personnages et au réalisme, il ira jusqu’à écrire les biographies des différents protagonistes pour aider ses comédiens. Il réinvente également le "film de monstre", en suggérant plutôt qu’en montrant un "homme dans une combinaison de caoutchouc". Véritable monument de la SF (et de la peur), Alien reste à ce jour le meilleur film du réalisateur avec Blade Runner. Ridley Scott alternera par la suite le moins bon (Lame de fond, A armes égales, Une grande année) et le très bon (Gladiator, Thelma et Louise, La Chute du faucon noir). En attendant Alien 5 ?
Le papa de l'Alien
L'artiste d'origine suisse H.R. Giger a réalisé seul le design de la créature de l’Alien, considérée aujourd'hui comme une oeuvre d'art à part entière. Né en 1940 en Suisse, Giger se passionne très jeune pour la création fantastique et surréaliste. Il entame des études d'architecture et de dessin industriel, mais continue parallèlement de coucher sur papier et toile ses étranges visions. Après un court emploi de décorateur d'intérieur, il devient artiste à plein temps et se lance parallèlement dans le cinéma en réalisant divers courts métrages documentaires. Signant des dessins et sculptures cauchemardesques et fantasmagoriques, il mêle organique et mécanique, et signe des "oeuvres mutantes" à la frontière de deux mondes. Pour la créature, Giger s'est inspiré d'un mélange de fragments organiques avec des pièces mécaniques. La maquette a été ainsi conçue avec de vrais ossements assemblés avec de la plasticine sur des tuyaux et des pièces de moteur. Cette nouvelle forme d'art contemporain sera nommée par ses soins la "biomécanique". Pour l’anecdote, sur les dessins originaux réalisés par H.R. Giger pour le premier Alien, la créature avait des yeux ! Cependant, l'artiste insista auprès de la production pour que l'alien n'en ait finalement pas, afin de le rendre encore plus menaçant avec un visage sans émotion. Les concepts furent modifiés aussi à de nombreuses reprises à cause de l'aspect sexuellement explicite du monstre.
Le scénariste Dan O'Bannon à propos de la créature (métal Hurlant, hors-série N°43 bis) : "L’idée est que les Aliens ont un cycle de vie extrêmement compliqué. Ils ont un spore qui renferme essentiellement un pénis mobile, et il leur faut un hôte pour se reproduire. Et quand un hôte s’en approche, la chose bondit et se colle à l’hôte pour y déposer ses œufs dans le plus proche orifice disponible. Puis elle meurt et se détache. L’hôte n’est rien de plus qu’une couveuse pour la chose qui en émergera au bout du compte. Et elle parvient à maturité à une vitesse incroyable, elle est extrêmement affamée et éprouve le besoin de se reproduire. (…) Mais la créature qui surgit brusquement à bord du vaisseau n’a jamais été soumise à sa propre culture ; elle n’a jamais été soumise à quoi que ce soit, si ce n’est les quelques heures passées dans les soutes du vaisseau. Et elle n’a donc, au sens propre du terme, aucune éducation. L’Alien n’est pas seulement sauvage, il est aussi totalement ignorant".
A savoir
Le scénario original est né d’une double idée de Dan O'Bannon, alors épaulé par son ami Ronald Shussett. Un script se déroulant dans l’espace ("Memory") et une autre idée autour d’un équipage de bombardier attaqué par des "Gremlins" durant la Seconde Guerre mondiale. Le mélange des deux donnera "Star Beast", rebaptisé "Alien", qui décollera véritablement quand Dan O'Bannon se décidera pour un "monstre à la Giger", qu’il avait connu sur un projet avorté d’adaptation de Dune.
A l'origine, dans la première ébauche du scénario, le lieutenant Ripley était un personnage masculin. Ce n'est que plus tard qu'il soit décidé qu'il serait incarné par une femme. Le rôle devait être à l'origine confié à Veronica Cartwright, qui finalement interprètera le personnage de Lambert. La décision d'accorder le rôle à Sigourney Weaver, alors jeune débutante (ce n'était que son troisième film), est revenue aux producteurs du film, qui lui ont préféré son physique plus androgyne. Ce n’est qu’au moment des essais-costumes que Veronica Cartwright apprit qu’elle jouait Lambert. Pour l’anecdote, elle avait joué enfant dans le film Les Oiseaux face à un certain Doodles Weaver, oncle de Sigourney Weaver à la ville.
Une rumeur selon laquelle les acteurs ne savaient pas ce qui allait se produire au momet où le bébé Alien sort en explosant le torse de Kane (John Hurt) est née après l'exploitation en salles du premier volet de la saga Alien. Elle n'est qu'en partie vraie. John Hurt avait été évidemment mis au courant du déroulement de la scène, tandis que les grandes lignes avaient été expliquées au reste des acteurs composant l'équipage, mais ils n'avaient pas été mis au courant des détails de la scène. Par exemple, Veronica Cartwright ne s'attendait pas à être aspergée de sang (et de véritables tripes), ce qui rend son dégoût et son effroi à l'écran bien plus réalistes. Tourné avec quatre caméras, la séquence fut mise en boîte en une prise.
Le vaisseau principal a changé de noms à plusieurs reprises : initialement baptisé "Snark", il deviendra le "Leviathan" avant de s’appeler le "Nostromo", clin d'oeil à une oeuvre de Joseph Conrad. La navette est quant à elle appelée "Narcissus" : un autre-hommage au romancier.
Moebius a participé au projet avant de partir vers d’autres aventures : on lui doit notamment le design des scaphandres de sorties, inspirés des armures médiévales.
La scène du réveil de l’hyper-sommeil qui ouvre le long métrage a failli être retirée du scénario, l’équipe ne parvenant pas à un design satisfaisant pour les caissons.
De véritables lance-flammes ont été utilisés par les acteurs, certains manquant de brûler Ridley Scott et ses cadreurs lors de certains "ratés".
Une scène d’amour entre Dallas et Ripley sous une coupole donnant sur le vide intersidéral devait initialement être filmée mais fut finalement retirée du scénario. Leurs ébats devaient être interrompus par le cadavre flottant de Kane…
Alien est l'un des deux films de science-fiction dans lequel joue Ian Holm et où l'un des personnages du film est nommé "Dallas", le deuxième étant Le Cinquième élément (où Bruce Willis jouait le rôle de Corben Dallas).
Ridley Scott rapporte souvent qu'il aurait souhaité mettre en scène une fin beaucoup plus sombre. Il voulait que la créature tue sauvagement le lieutenant Ripley lors du face-à-face final dans la nacelle spatiale, puis que l'Alien s'assoit et prenne la voix de Ripley en envoyant un message rassurant d'arrivée sur la planète Terre. Mais la Fox n'était pas très enjoué à l'idée d'une fin aussi désespérée.
Le titre d'introduction d'se présente sous la forme de sept traits, avant de composer finalement l'appellation définitive du long métrage. Un graphisme épuré et surtout volontaire, le titre révélant ainsi le nombre de victimes de la créature dans le film.
Le mince rideau de fumée qui présente les étranges oeufs a été rendu possible grâce à une machine spéciale qui projette des brumes et des lasers. Cette machine a été empruntée au groupe The Woo, qui s'en servait lors de leurs concerts.
La carcasse sur laquelle le docteur Ash pratique une autopsie est composée de fruits de mer, afin de recréer visuellement les organes internes de l'arachnée.
La plupart des dialogues du film n'ont pas été écrits. Les acteurs ont en effet énormément eu recours à leur talent d'improvisation, en connaissant par avance les grandes lignes d'une scène, et en la jouant ensuite en communauté.
La partie frontale du corps de l'Alien a été réalisé à partir d'un moulage effectué sur un vrai crâne humain.
Sigourney Weaver retrouvera Ridley Scott treize ans plus tard en devenant devant sa caméra la Reine Isabelle pour 1492 : Christophe Colomb (1992).
Bien que sa renommée ne se soit pas faite sur cette récompense, Alien, le huitième passager s'est vu remettre en 1980 un Oscar pour ses effets spéciaux, tandis que lui échappait la récompense de la Meilleure direction artistique. Le film remportera trois Saturn Award, récompensant traditionnellement les films fantastiques, dans les catégories Meilleur réalisateur (Ridley Scott), Meilleure actrice dans un second rôle (Veronica Cartwright) et Meilleur film de science-fiction.
Pour obtenir une réaction crédible du chat face à l’Alien, l’équipe le mit face à un Shepherd dissimulé derrière un cache. A l’approche du chat, il suffisait de révéler la présence du chien pour obtenir la réaction du félin.
Le sang acide répond à une nécessité scénaristique : rendre logique le fait que l’équipage ne tente pas de tirer sur la créature.
Le premier "cri" de l’Alien… est l’œuvre d’un homme, l’imitateur animalier Percy Edwards. Recommandé par Ridley Scot, il ne lui fallut qu’une prise pour enregistrer ce son glaçant.
Pour amplifier la taille du Space-Jockey, Ridley Scott a remplacé les acteurs en scaphandre par ses deux fils.
Faux raccord amusant : le plan de la queue de l’Alien se saisissant de la jambe de Veronica Cartwright… ne présente pas la jambe de la comédienne mais celle de Harry Dean Stanton. Il s’agit d’un plan coupé filmé pour une autre séquence !
Avant Ridley Scott, plusieurs réalisateurs ont été envisagés : Peter Yates, Jack Clayton, Robert Aldrich et Walter Hill.
L’équipe du film rencontra par hasard Bolaji Badejo, immense jeune homme d’origine masaï. Il fut préféré à un certain Peter Mayhew (Chewbacca) pour le rôle de l’Alien.
Le Space-Jockey, conçu et décoré par Giger, devait initialement servir lors de l’avant-première du film. Il disparu malheureusement dans un incendie…
Lumières, boutons, moteurs : tous les décors du Nostromo, imaginés par Ron Cobb et Ridley Scott et conçus par les équipes de décoration, étaient fonctionnels. Ceci pour permettre aux comédiens de véritablement interagir aux commandes du vaisseau.
Une séquence finalement retirée du scénario devait explorer plus en profondeur la civilisation Alien, à travers la visite d’une pyramide et la découverte de hiéroglyphes expliquant le cycle de vie des créatures.
Le film est ressorti en salles (et en DVD) dans une version director’s cut en 2003. Une version intégrant de nouvelles séquences (dont la découverte de Dallas dans un cocon) et en racourcissant d’autres, tant et si bien que ce montage est plus court d’une minute que l’original. Pour l’anecdote, le premier montage, réduit ensuite par Ridley Scott et son monteur, dépassait les trois heures.
La composition de la bande originale du premier Alien ne fut pas de tout repos. Jerry Goldsmith devait retravailler au jour le jour ses orchestrations pour suivre les changements quotidiens effectués au montage. Le monteur Terry Rawlings utilisait des morceaux d'une autre bande originale de Goldsmith, celle du film Freud, passions secrètes de John Huston, comme exemples pour câler ses images. Mais finalement le monteur les garda en dépit des nouvelles musiques fournies par le compositeur. Jerry Goldsmith lui en voulu jusqu'à la fin de sa vie pour cette "trahison".
Une scène montre une partie de l'équipage du Nostromo dans le sas de décompression du vaisseau. Les vecteurs graphiques présents sur l'écran de Sigourney Weaver à ce moment là se retrouvent sur ceux du véhicule de police volant au décollage dans Blade Runner, film succédant au premier Alien dans la filmographie du réalisateur Ridley Scott.
Pour toute la saga, la "mort" est mentionnée dans chaque traduction du titre hongrois : Alien, le huitième passager devient "Le Huitième passager : la Mort" ; Aliens, le retour devient "Le Nom de la planète : la Mort" ; Alien 3 devient "Dernière solution : la Mort" ; Alien, la résurrection devient "Le 'Re-réveil' de la Mort" ; Alien vs. Predator devient même "La Mort contre le Predator".
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