Le 11 février 1959 sortait sur nos écrans le premier film de Claude Chabrol, "Le Beau Serge". 50 ans plus tard, l'ancien critique de cinéma et chef de file de la Nouvelle Vague présente son nouveau film, "Bellamy". L'occasion de faire le point sur ce courant qui, un demi-siècle plus tard, continue de nourrir le cinéma français. Un dossier coordonné de Mathilde Degorce
Auteur d'une biographie sur Godard parue en 2010, après avoir co-signé avec Serge Toubiana celle de François Truffaut, Antoine de Baecque évoque au micro d'AlloCiné la trajectoire des deux cinéastes, et leur relation complexe. Celle-ci est analysée dans le documentaire Deux de la vague, en salles le 12 janvier 2011, un film écrit par de Baecque et réalisé par Emmanuel Laurent. Dans l'entretien ci-dessous, le critique et historien parle tout d'abord du rôle-clé joué par François Truffaut au moment de la réalisation d'A bout de souffle.
Antoine de Baecque : "En 1954, François Truffaut est passionné par un fait divers : l’assassinat d’un gendarme par un jeune homme mi-malfrat mi-flambeur, qui, avec une amie américaine, défraie la chronique et tient tête à la police pendant quelques jours à Paris. Truffaut lit ce fait divers, puis suit le procès dans Détective, France Soir (on retrouve ces journaux dans ses archives).
Très vite, il projette d’en faire un film. C’est quasiment un de ses premiers projets de long métrage. Il l’appelle d’ailleurs tout de suite A bout de souffle. Il l’écrit en quelques lignes, en parle à ses copains, Claude Chabrol, qui, à un moment, hérite du projet, et Jean-Luc Godard. D’après un petit mot que Godard écrit à Truffaut, ils s’en seraient parlé sur le quai du métro Richelieu-Drouot. En 1959, Godard veut absolument passer à la réalisation, il sent que la Nouvelle Vague "prend", Truffaut obtient un triomphe à Cannes en mai 1959 avec Les Quatre cents coups. C’est donc Truffaut qui met à Godard le pied à l’étrier, en lui cédant, à sa demande, ce projet, en écrivant pour lui un traitement de 4 pages. A partir de là, Godard va pouvoir convaincre le producteur Georges de Beauregard de prendre le risque de se lancer dans le premier film d’un inconnu. Truffaut est crédité au générique d'A bout de souffle, comme étant celui qui a écrit l’histoire originale, mais aussi celui qui supervise le scénario.
François Truffaut joue son rôle de façon assez sérieuse, alors que Claude Chabrol, qui est censé superviser la mise en scène, laisse faire complètement Godard. Truffaut est assez présent sur le tournage, parce que c’est le premier film de son ami, mais aussi à la demande du producteur Beauregard, qui a besoin d’un regard extérieur, de quelqu’un qui va contenir la folie de Godard. Truffaut est impressionné par la manière de tourner de Godard, il va suivre l’ensemble du tournage, puis du montage, quasiment jusqu’au bout. C’est même Truffaut qui demande à Godard de changer la fin du film : dans l’histoire originale de Truffaut, Poiccard se suicidait. Dans le film de Godard, c’est la police qui tue Poiccard d’un coup de révolver dans le dos. Dans les rushes que voit Truffaut, un des policiers dit, de façon cynique et violente « Vite ! Tire-lui dans la colonne vertébrale ». Cette phrase, limite dans la bouche d’un policier, choque beaucoup Truffaut, qui lui demande de l’enlever. Godard le fait, parce qu’il y a l’autorité de Truffaut, qui est un ami, mais aussi parce que c'est lui qui a apporté cette histoire. C’est donc comme une offrande : Truffaut a offert à Godard son premier film.
Godard et Truffaut : entre amour et haine
L’amitié entre Godard et Truffaut est réelle, et profonde. Mais comme toute amitié, elle contient aussi l’élement qui va y mettre fin. La rupture ne doit pas nous faire sous-estimer la réalité de cette amitié et de ce lien, dont on trouve de multiples témoignages dans la vie des deux jeunes gens : des photos, des mots, des textes, des rituels… Ils se voient très régulièrement, ils voient les films de l’autre, soit dès les rushes, soit aux premières projections. Evidemment, une fois la rupture consommée, l’un dénoncera le comportement de l’autre, mais je pense que c’est une reconstruction.
Si on regarde cette amitié à partir de sa naissance, l’année 1949-1950, quand ils se recontrent, jeunes cinéphiles du Quartier latin, au Festival du film maudit à Biarritz, on voit qu’il y a une profonde solidarité, une réelle admiration réciproque. Godard admire ce jeune chien fou qui a des avis très tranchés, qui peut être très drôle et très brillant, et qui est un très grand séducteur (ce qui a toujours fasciné Godard). C’est sûr que Godard met les gens à distance, est dans une forme de négativité, de contradiction permanente, mais c’est aussi ce qui intéresse Truffaut. C’est dans la différence qu’ils sont amis. Tout au long des années 60, ils peuvent êtres agacés l’un par l’autre, mais il y a toujours du cinéma en commun : l’amour de certains films, certains acteurs et actrices, une parole qui circule très librement. A partir du moment où ils ne partagent plus assez de cinéma, il ne reste que les oppositions. C’est ce qui se passe autour de 68. Les itinéraires sont alors tellement divergents, leur cinéma tellement différent, que la rupture intervient très vite, et de façon très brutale, avec cette lettre d’insulte, qui est presque une lettre de rupture amoureuse, qu’écrit Truffaut à Godard en 1973 : « Tu es une merde sur son socle » Cette lettre fait rupture dans l’amitié, et plus largement dans l’histoire du cinéma français.
Godard reviendra à Truffaut après la mort de Truffaut. De son vivant, il n’y a pas de réconciliation, ils restent sur des positions très antagonistes, ils ne peuvent pas physiquement se croiser. Après la mort de Truffaut en 1984, Godard ne va cesser de revenir sur cette histoire commune, à la fois par immense regret de ne s’être jamais réconcilié avec quelqu’un qui est mort brutalement et trop vite, et par une forme de mélancolie qui l’habite à partir du milieu des années 80. Ca passe par le personnage de Jean-Pierre Léaud, qui revient dans le cinéma de Godard, aussi bien dans Grandeur et décadence d'un petit commerce de cinéma (photo ci-dessus) que dans Détective. A chaque fois, Léaud revient comme une créature de Truffaut, une référence, un hommage. Ca se manifeste aussi dans des textes, sous la forme d’un ressassement de sa peine, de sa faute. Il écrit par exemple la préface à la Correspondance de Truffaut, qui paraît en 1987 : c ’est un long texte de déploration sur une amitié perdue. Il y revient aussi dans les Histoire(s) du cinéma, avec plusieurs extraits et photos de Truffaut. On est alors vraiment dans un déchirement mélancolique."
Pour retrouver l'intégralité de l'interview-dossier avec Antoine De Baecque sur Jean-Luc Godard, cliquez ici.
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