L'Amérique ne se relève pas du 11 septembre, faillite majeure de ses services secrets. La preuve une fois encore avec ce petit bijou qui nous emmène loin dans les différentes couches de l'espionnage américain.
Will Travers est un analyste en chef. Son boulot : recouper, comprendre, chercher, afin de pouvoir alimenter l'armée et la CIA en informations fraiches et vérifiées. Lorsqu'un de ses collègues disparait dans des conditions mystérieuses, il commence à investiguer ses propres chefs... et prend peur.
Un vrai choc, une vraie réussite comme on en avait pas vu depuis longtemps. J'ai quelques trains de retard puisque la série date de 2010, mais cette saison unique vaut vraiment le coup d'œil, et un peu plus. Le décalage est d'abord assez incroyable : les analystes travaillent dans des bureaux miteux, sur des dossiers papiers, on voit peu d'ordinateurs et de satellite. Comme si l'Amérique qui doute de sa toute puissance ne voulait lus remettre son avenir entre les mains de la haute technologie, mais souhaitait revenir aux bases : de la matière grise avant tout.
Ensuite, c'est un brillant thriller paranoïaque. Car très vite, on comprend que rien n'est clair, on ne sait pas qui travaille pour qui, comment, pourquoi et surtout avec quels objectifs. L'Amérique a peur mais l'Amérique est perdue, ne sait plus où elle regarde ou ce qu'elle souhaite accomplir. Le rythme et la mise en scène sont au diapason de la suspicion ambiante : c'est très long, peu rythmé, et il faut parfois s'accrocher. Mais la récompense est à la hauteur, tant Rubicon synthétise avec brio ce qu'il y a de meilleur dans le film politique dans années 70 (les 3 jours du Condor, influence évidente) jusqu'au roman paranoïaque (les lecteurs des Falsificateurs vont se régaler)... tout en le replaçant dans une actualité brûlante, avec la guerre contre le terrorisme et les grands enjeux pétroliers. Passionnant.
Et pour finir, comme toute grande série, Rubicon est porté par une interprétation de très haut niveau, sur des personnages forts et nuancés. Avec une affection particulière pour Kale Ingram, inoubliable chef de service tout en faux-semblants et en sous-entendus.
Mais tout cela était très cérébral, d'une grande lenteur, d'une complexité narrative rare, et d'une très grande exigence pour son spectateur. Ce qui a poussé la chaine AMC a commettre le crime de l'annuler après une saison seulement. Il y a des coups de pieds au cul qui se perdent dans les hautes sphères de la télévision câblée américaine.
Rubicon a donc rejoint Profit et Deadwood au cimetière des chef d'œuvres qui auront été finis beaucoup trop tôt. De quoi devenir culte