La série phénomène aux Etats-Unis, voilà ce qu'est Glee, la dernière création de Ryan Murphy, qu'on avait quitté avec la corrosive Nip/Tuck. Ici, retour à une série plus sage, mais pas lisse pour autant.
Avec un regard extérieur froid et cynique, Glee a tout de la niaiserie fadasse pétrie de sentimentalisme type "High School Musical". Et sur bien des aspects, Glee irrite. Les acteurs ne sont pas tous géniaux, surtout les principaux. Lea Michelle tape plus sur les nerfs qu'autre chose, ce qui en soi ne devrait pas être une mauvaise chose, sauf que son omniprésence éclipse malencontreusement le reste du casting féminin, pourtant de haute volée. Quand on fait une série sur une chorale avec une dimension forcément chorale, les personnages principaux doivent aussi apprendre à s'effacer de temps en temps. Malgré sa belle gueule et son atout vocal, Corey Montheit a un peu de mal avec les expressions faciales. Qui plus est, la série dans sa structure (celle des leçons de vie, où la musique sert d'illustration à un grand principe de l'existence) a le malencontreux défaut d'être parfois répétitive, ce qui est fâcheux sur une seule saison, la première qui plus est. On peut aussi pester sur la manière dont sont recyclées les chansons : tout y est propre, remixé, voire sur-remixé, et imposé en playback, ce qui peut irriter les amateurs de performances live, qui auront l'impression de se retrouver devant des reprises sans âme.
Mais en dépit de tous ses défauts, Glee est une série merveilleuse, parce qu'elle ne ressemble à aucune autre. Certes la plupart des personnages sont des clichés, dont l'existence ne se définit que par quelques traits de caractère. Mais conscient du caractère volontairement cliché de ses héros, Murphy amplifie lesdits clichés et en profite pour brocarder la toute puissante étiquette qui sévit dans les années lycée. Et c'est cette guerre entre clichés qui fait le sel de cette série, car tout y sonne vrai. Oui le lycée est une période où l'apparence, l'appartenance à une catégorie sociale ou à un club en particulier peuvent conditionner beaucoup de choses. Cette superficialité volontaire nourrit un petit théâtre de la cruauté assez jouissive, où les puissants se complaisent à outrance dans leur médiocrité.
Et là où les héros deviennent attachants comme toujours, c'est quand ils arrivent aux marges de leur propre cliché. C'est pourquoi une Lea Michelle n'est que rarement attachante, car elle reste toujours ancrée dans son propre cliché, son personnage n'évolue que trop peu, et apparait comme trop artificiel à un âge où la personnalité évolue plus vite qu'à n'importe quel autre. Glee devient savoureuse quand ses héros perdent les pédales, le contrôle de leur propre façade et apparaissent, l'espace d'un instant comme des individus, parce qu'à ce moment-là, Glee touche au réel. A travers le trouble identitaire et sexuel de Kurt, les névroses d'Arty, la déchéance de Quinn, les coups tordus de Terri (dont l'intrigue savoureuse est un coup de pied dans la fourmillière du consensuel), l'indécision de Puck, l'incapacité de Mercedes à s'imposer au sein même de la chorale, Glee dresse une galerie de portraits dans l'ensemble assez touchants, et qui sonnent juste. A ce titre-là, le personnage qui tire le plus son épingle du jeu est évidemment la réjouissante Sue Sylvester, coach vacharde ne vivant que pour la compétition, vouant une haine viscérale à Schuester, sa coiffure et aux losers du Glee Club. Campée par la formidable Jane Lynch, Sue est sans doute le personnage le plus névrotique, le plus jouissif et le plus touchant de Glee, ce qui a valu à son interprète un Emmy plus que mérité.
Mais évidemment, comment parler de Glee sans parler des numéros! Fidèle en cela à l'esprit du musical à l'américaine, très typé Broadway, Glee aligne une série de performances assez époustouflantes, qui clotûrent en plus la majorité des épisodes. Dans ces moments-là, Glee tutoie la grâce, que ce soit dans une reprise poignante du Keep Holding On d'Avril Lavigne, prétexte à une allusion sur les indécisions du coeur et la difficulté de l'engagement ; dans un mash-up inspiré et débordant d'énergie d'It's My Life de Bon Jovi et de Confessions (Part II) d'Usher, ou encore dans le tout premier numéro de la série, qui sublime de manière ahurissante Rehab d'Amy Winehouse, qui atteint une perfection visuelle, chorégraphique et mélodique qui force le respect. Les numéros musicaux, parfois spectaculaires, parfois d'une réelle sobriété, ne sont jamais des coups d'esbrouffe, ce sont avant tout des numéros d'artistes qui impressionnent, qui nous marquent profondément, et là est la réussite majeure de Glee.
D'une incroyable modernité, d'une diversité désinvolte assez réjouissante (alternant les artistes pop les plus hype et les morceaux parfois d'une ringardise extrême), Glee est une série colorée, survitaminée et positive, qui dépoussière le genre de manière jubilatoire. A ne manquer sous aucun prétexte.