C’est un ovni parce que le cœur de cible, déjà, est singulièrement inédit : à savoir les pré-ados. Il fallait y penser et avoir le courage de viser ce segment sensible et si particulier.
Et si ça n’était que ça encore ; mais il y a bien mieux. En fait c’est complètement novateur, parce que le projet, pourtant didactique, évite toutes les lourdeurs habituelles du pédagogisme télévisuel, grâce à un habile subterfuge qui consiste à envisager la vie des collégiens à travers le prisme d’un documentaire tourné sur place, pendant des semaines et des mois, et sous l’angle d’interviews menées avec les protagonistes. On imagine le gain de temps diégétique ainsi réalisé pour un format contraignant parce que compact (11 à 12 mn) et la profondeur de champ psychologique offerte à l'analyse rétrospective et à cette maïeutique d'un genre nouveau... Cela permet très adroitement d’échapper à tous les écueils inhérents aux sitcoms et autres pesantes fictions TV qui jusqu’à présent nous avaient été servies, d’Hélène et les Garçons jusqu’à Plus belle la vie.
Cette série futée triomphe là où toutes ses aînées avaient tristement échoué, parce qu’elle sait se montrer légère, fraîche, terriblement humaine, parfaitement pertinente, jamais vulgaire ni lourdaude, émouvante sans recourir aucunement à l’emphase, et qu’elle sait centrer son regard sans chichis sur ses jeunes héros, au plus près desquels elle se déploie avec une aisance assez bluffante. Les notions abordées à chaque épisode, ayant trait aux problématiques sociétales dans leur impact sur la vie adolescente ou leurs interactions avec des sujets sensibles du quotidien scolaire (droit à l’image, racisme, racket, changements du corps, homophobie, égalité femme-homme, divorce, enfant battu, etc.) sont traitées et narrativisées dans une écriture fluide, moderne, incroyablement naturelle, qui appuie sa solidité sur une connaissance approfondie des codes des réseaux sociaux et des tics linguistiques propres aux préados, sans pathos, affectation ni maladresse.
Qui plus est, le jeu des acteurs est confondant de simplicité et de sobriété, chaque jeune comédien (tous sont remarquablement convaincants) campant et approfondissant de manière passionnante le type humain et pré-adolescent qui lui a été dévolu, et poussant même le talent et la virtuosité jusqu’à rendre chaque personnage terriblement attachant. Jamais de cabotinage, pas de surjeu, mais un naturel, une élégance et une vérité époustouflants. Et, scandant tout cela, brochant sur une gerbe déjà éloquente de qualités multiples, un rythme parfait, une chorégraphie des actes, des sentiments, des mots et des gestes, ne ménageant aucune place à l’ennui, mais au contraire épousant un développement souverain où chaque personnage gagne un peu plus en épaisseur et profondeur à chaque épisode supplémentaire, par la grâce d’une écriture qui dévoile avec une habileté diabolique, pas à pas, les souffrances ou les secrets parfois écrasants que dissimule chacun de ces ados pudiques à la gouaille addictive. Le tout au travers d’une science consommée de l’humour le plus étincelant, parce que le plus vachard...
Le téléspectateur qui viendrait, au hasard des zappings, à atterrir sur ce petit bijou de scénario et de mise en scène, ne mettrait pas plus de trente secondes à comprendre qu’il ne regarde pas une énième fiction sur des djeuns décervelés, mais vient au contraire de découvrir une véritable perle, et resterait littéralement enchaîné à l’intrigue jusqu’au bout de l’épisode, ravi et presque incrédule devant la réussite parfaite d’un genre qui, pourtant, ne réussit d’ordinaire jamais.
Tout, jusqu’au choix des musiques, témoigne du soin inédit apporté par France TV à la réalisation de ce petit chef-d’œuvre. On en ressort totalement fan et convaincu que quelque chose a enfin bougé un peu au royaume de la TV adolescente. Cette série en état de grâce, parce que maîtrisant un équilibre assez miraculeux entre des ingrédients précisément dosés, vous aimante par un pouvoir de séduction et un charme particulièrement entêtants, à mi-chemin entre le rire et les larmes, mais toujours dans la finesse et une pudeur poignante.
Déjà « culte », de quoi se tricoter de jolis souvenirs de télévision. Cela peut arriver. Ici cela éclate brillamment. Et c’est classe, comme diraient nos jeunes pousses. Chouette. Vraiment très chouette. À recommander à partir de 10 ans, et sans limite d’âge ensuite.