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La dolce Vita
Tom Ripley vit à New-York et exerce la peu recommandable profession de faussaire. Cela ne fait pas de lui une respectable personne mais c’est ainsi. Il n’est de toute façon aucunement sensible à la manière dont on le perçoit. Cela ne suffit pas non plus à faire de lui une riche personne. Pourtant, au vu de la difficulté avec laquelle un détective privé parvient un jour à l’appréhender, on devine qu’il excelle dans l’art de se faire passer pour qui il n’est pas. Étonnamment, cet entretien n’a pas pour but de le confronter à ses nombreuses malversations mais plutôt de lui signifier qu’un riche entrepreneur du nom de M. Greenleaf serait disposé à lui proposer une mission de la plus haute importance. En contrepartie d’une conséquente rémunération, Tom se voit charger de ramener à la raison le fiston de la famille qui se la coule douce en Italie, profitant sans vergogne de la fortune de son généreux paternel. En gros, il doit le convaincre de rentrer au bercail car les vacances ont assez duré. Pourquoi lui ? Parce qu’à une époque, ils se seraient connus. Tom s’en souvient-il ? Peut-être mais là n’est pas la question. C’est ainsi qu’il se rend sur le champ sur la côte napolitaine afin de rencontrer le fameux Dickie avec qui il noue rapidement une relation pour le moins intéressée. Car passer d’un appartement miteux au cœur de New-York à la vaste demeure ensoleillée de son hôte, c’est inévitablement prendre goût à la Dolce Vita et au farniente qui l’accompagne. Et si un lien assez fort pour rendre jalouse Marge, la compagne de Dickie, naît entre ces deux hommes, c’est que Tom a su tout de suite jouer cartes sur table. Oui, il est commandité pour inciter le jeune homme à abandonner une vie de paresse et d’oisiveté, il l’avoue et de cette honnêteté s’est rapidement instauré une relation de confiance. Mais pendant que Dickie se rêve en peintre reconnu, on pressent que Tom ne compte pas se satisfaire de son statut d’invité vivant aux frais de la princesse.
Une de plus ?
Si ce synopsis vous évoque quelque chose, c’est peut-être parce que vous avez lu « The Talented Mr. Ripley » de la romancière américaine Patricia Highsmith publié en 1955, un livre dont la série est l’adaptation. Mais c’est plus certainement parce qu’il vous a été donné de voir au choix « Le Talentueux M. Ripley » d’Anthony Minghella ou « plein soleil » de René Clément avec, respectivement, Matt Damon et Alain Delon dans le rôle de Tom Ripley. La question se posait cependant de savoir s’il était bien nécessaire de mettre en scène une énième version de ce thriller psychologique tant le déroulé de son intrigue semble immuable. Et il est vrai que dans ces trois cas de figure, Ripley se rend coupable des mêmes exactions. Concrètement, il faut attendre le dénouement de chacune de ces histoires pour apercevoir une réelle différence de traitement dans les événements. Et sur ce plan, le final du film de Clément, de par le sentiment d’effroi et de surprise qu’il suscite chez le spectateur, reste à ce jour inégalé en terme d’intensité dramatique. Toutefois, cette différence ne justifierait pas à elle seule ce nouveau voyage dans l’Italie des années 50 si elle ne découlait de délicates et subtiles variations dans les portraits que ces œuvres dressent de leurs personnages principaux et, par extension de la nature des liens qui les unit.
Trois en un
En premier lieu, Dickie est ici montré comme un homme tout à fait charmant et aimable, à la différence de « Plein soleil » où son machisme envers Marge et la manière dont il se plaît à humilier son nouvel « ami » nous le rendent particulièrement antipathique. Ajouté à cela le charisme naturel de Delon et on souhaiterait presque que celui-ci s’en sorte à bon compte malgré le caractère indéfendable de ses actes. Dans « le talentueux M. Ripley », Jude Law incarne un Dickie hâbleur et versatile que Tom, frêle jeune homme sans grande consistance, semble aduler à tel point qu’il aimerait en être le miroir. Dès lors, l’accent est mis sur l’habileté naturelle qu’a ce dernier à se jouer de son entourage. Dans la série, nulle séduction arriviste ou idolâtrie homosexuelle pour nous offrir une grille de lecture psychologique de son anti-héros. Tout du long, l’âme de Ripley reste insondable. On le voit agir froidement, totalement dénué de sentiments envers ses victimes. Seule lui importe l’assurance de ne pas être démasqué. Pour cela, il ne possède pas le don inné de Matt Damon et agit souvent en réaction aux événements susceptibles de le compromettre. Bien souvent, on le croit perdu et si aucune compassion à son égard ne nous parcoure, on se délecte à observer la manière, parfois maladroite, avec laquelle il tente de s’extirper de situations à priori désespérées. Cette lente et clinique description pourrait s’avérer ennuyeuse si elle n’était portée par un Andew Scott magistral dans sa capacité à laisser transparaître le doute, la détermination voire le dégoût derrière le calme glacial qui se dégage de sa personne. Et lorsqu’un sourire enjôleur perce soudainement au travers de son visage impassible, c’est que les circonstances exigent de lui une posture affable qui le rebute manifestement. Lors d’une scène commune aux œuvres dont il est ici question, Ripley revêt les habits de Dickie, allant jusqu’à l’imiter et emprunter ses paroles devant le miroir à qui il s’adresse. Ou comment l’intentionnalité qui sous-tend l’écriture d’un même et unique personnage parvient à faire émerger des psychés distinctes au travers d’une même séquence. C’est assez fascinant ! N’allez cependant pas croire qu’il faille avoir vu les films pour apprécier la série. Celle-ci possède en elle suffisamment d’atouts pour qu’il nous soit permis d’apprécier le contenu de son implacable scénario.
Que c'est beau !
En premier lieu, on peut louer la qualité d’une mise en scène qui se contente de servir avec brio l’histoire qu’elle se plaît à nous narrer. Mais là où « Ripley » se veut novatrice, c’est dans l’utilisation de ce noir et blanc fabuleux qui procure à la série une identité visuelle empreinte du vaste patrimoine culturel italien. De son pays hôte, « le talentueux M. Ripley » se désintéressait allégrement(Jude Law étant même passionné de jazz). Dans l’adaptation de Clément, on ressentait l’ardeur des rayons du soleil sur le torse dénudé et moite de son acteur vedette. Ici, c’est la splendeur passée des œuvres de la Renaissance qui est à l’honneur. Combien de plans fixes de statues, immuables et parfois menaçantes, viennent ponctuer la narration renforçant ainsi l’impression de froideur implacable dégagé par Ripley ? Mais, parce qu’il lui voue une passion grandissante, Le Caravage est l’artiste dont il est question en de multiples occasions. Celui-ci, peintre de son état mais potentiellement meurtrier lui-même, imprègne de son sceau la photographie absolument superbe de ces 8 épisodes d’une beauté à couper le souffle. Comme le maître milanais se jouait de la lumière pour composer ses tableaux, Steven Zaillian et Robert Elswit, son directeur de la photographie, accentuent les contrastes de leur noir et blanc pour en magnifier son rendu. Lors d’un tour de passe-passe scénaristique habile, ce procédé stylistique devient même un moyen pour Tom de se sortir d’une situation particulièrement compromettante. Dès lors, « Ripley » pourrait être perçue comme une œuvre d’art un peu froide et condescendante tant chaque plan semble avoir une fonction esthétisante. Or, non seulement ils servent la vison personnelle qu’a son auteur de cette histoire maintes fois portée à l’écran, mais la série parvient à échapper à toute caricature pédante en s’amusant de son propre parti-pris créatif. Ainsi, c’est un plaisir sans cesse renouvelé que de voir la mine mi-intriguée, mi-blasée du témoin privilégié des allers et venues de Ripley dans le hall de l’hôtel où il a posé ses valises. Un chat placide et incrédule qui ne semble pas comprendre le sens de cette agitation incessante. Car s’il est une chose dont il est éminemment question en Italie, ce sont les escaliers. Tous les personnages passent leur temps à les monter et à les descendre dans un ballet éreintant qui procure à la série une touche (discrète) de légèreté sans laquelle elle aurait eu tendance à se prendre trop au sérieux. Et puis, qu’ils soient filmés en plongée, contre plongée, qu’ils se situent dans un village pittoresque ou au sein d’un immeuble, les escaliers ont cela en commun d’être particulièrement photogéniques.
Bilan
Alors non, « Ripley » n’est pas une vaine adaptation du roman de Patricia Highsmith. Elle offre une lecture différente des œuvres de Clément et de Minghella, à laquelle s’ajoute une signature visuelle époustouflante due à la qualité exceptionnelle de sa photographie. Un tour de force qui ne nuit jamais à l’histoire qu’elle met en scène. Du grand art !