Le Jeu de la dame nous a mis d'emblée échec et mat. Dès le premier épisode, on découvre qu'il ne s'agit pas seulement d'échecs, et que l'on se trompait bien quand on s'imaginait tomber d'ennui devant des parties assommantes où l'on entend les mouches voler (revoyez le sketch Bonne nuit Mr. Bean qui vous montrera le somnifère auquel on s'attendait). Car Le Jeu de la dame est avant tout une belle histoire, une histoire qui a du cœur et qui partage sa passion pour les personnages fracassés : on s'attache follement à la jeune orpheline récupérée après que sa mère a tenté de l'entraîner dans son suicide, qui se drogue et devient une toxico à dix ans à peine, qui a des problèmes de sociabilisation dignes d'un Asperger, et qui ne veut qu'une chose dans la vie : gagner aux échecs. De notre côté, on ne veut qu'une chose : mettre l'épisode suivant pour suivre son épopée, plonger dans ses délires de plateau d'échiquier au plafond qui bouge tout seul, tenter de comprendre les tactiques énoncées (vainement, si vous n'êtes pas familiers de ce jeu, on vous conseille de faire comme nous : regarder les parties d'un air heureux), insulter copieusement les machos que l'on croise (pour qui "les échecs ne sont pas un jeu de femmes"), jubiler bêtement quand la miss Harmon les remet à leur place, soutenir sincèrement ce personnage qui découvre sa féminité de façon chaotique (ses premières règles, sa sexualité...) et surtout, surtout, (mais alors : surtout !) fondre comme neige au soleil devant le final si chaleureux, si touchant, si "Aaaaaaawww" (on sait que vous l'avez bien prononcé) avec
la bande de potes inattendus qui déboulent au téléphone pour aider ensemble cette Reine à gagner, et les poignées de mains émouvantes de papys russes (adversaires) qui la félicitent...
Les seconds rôles sont brillants : Thomas Brodie-Sangster qui est le cowboy-rock pas désagréable à regarder (mesdames...), Harry Melling (qui a bien changé depuis Dudley Dursley des Harry Potter), Marielle Heller (la touchante mère adoptive délaissée par son époux)... La mise en scène est excellente, le rythme incroyable (on ne s'ennuie jamais, et les parties rapides diffusées en léger accéléré permettent un rendu visuel bluffant), et on gardait le meilleur pour la fin : Anya Taylor-Joy, qui nous avait déjà interpellé l’œil dans The Witch, nous subjugue à chaque plan et nous fait accrocher définitivement à son personnage en un regard. On ne serait pas étonné que la série remporte les Golden Globes de la meilleure Mini-Série et Meilleure Actrice. On s'attendait à tout sauf à ce si sincère coup de cœur, maintenant on court chercher l'échiquier et on se remet la série avec envie. Longue vie à la Reine !