Pour leur première création sur le petit écran, Olivier Nakache et Eric Toledano (Hors Norme, Intouchables, Le sens de la fête...) adaptent le concept d'une série israélienne qui se déroule à huis clos, dans le cabinet d'un psychiatre parisien. "En thérapie" suit le déroulé de sept semaines de séances de cinq patients, au lendemain des attentats du Bataclan, en novembre 2015. Bien que leurs problèmes ne soient pas forcément reliés à l'événement, il n'en est pas moins le déclencheur d'un traumatisme collectif, dessinant en creux le portrait d'une société fissurée par des angoisses individuelles...
Tout le monde en parle comme étant la série du moment, à la fois novatrice et poignante, minimaliste et dérangeante. Je dois avouer que j'ai pris mon temps pour arriver au bout de ces 35 épisodes (un épisode = une séance) car le huis clos est dense, que ce soit du point de vue des mots que celui des émotions. D'entrée de jeu, on assiste à une crise de larmes d'une chirurgienne qui a passé ses derniers jours à opérer des blessés des attentats. Le lendemain, on observe un flic de la BRI qui faisait parti de la brigade d'intervention le soir du 13 novembre. S'ensuivent une adolescente championne de natation récemment plâtrée pour s'être jetée sous une voiture et un couple en crise à l'aube de l'arrivée de leur deuxième enfant. Face à eux, on a la figure d'écoute du thérapeute, sage et neutre, juste, qui, avec ses problèmes privés, se retrouvent lui aussi impacté par cette période de chamboulement. Ce dernier décide alors de retourner voir une amie psy qu'il n'a pas vu depuis dix ans, une femme qui ne pratique plus et qui gère le deuil récent de son compagnon. Bref, vous l'aurez compris, "En thérapie", c'est du lourd ! Les conflits internes des personnages constituent le coeur de l'énigme, entre culpabilité, colère et rancoeur. Parfois, le temps est long et on se noie dans un flot de paroles mais d'autres fois, c'est vertigineux tant les émotions sont fortes et soudaines.
On a pas du tout l'habitude de regarder une série aussi statique, aux mouvements de caméra discrets seulement voués à saisir l'essentiel : le visage des comédiens et leur vérité. En cela, "En thérapie" fait la part belle au jeu des acteurs qui étincellent de sensibilité dans ces joutes verbales foisonnantes et qui n'ont pas d'autres choix que de mettre à nu une part torturée d'eux-même. Ils jouent avec leurs tripes, et ça se sent ! Mélanie Thierry, Reda Kateb et Céleste Brunnquell sont saisissants dans l'exposition de leurs tourments, d'une justesse déroutante voire dérangeante. A contrario, Pio Marmaï, Clémence Poésy et Carole Bouquet m'ont laissé indifférent, sans doute parce que leurs problèmes m'étaient plus étrangers. Mais c'est la performance de Frédéric Pierrot, dans le rôle du thérapeute, que je trouve le plus remarquable. Il délivre une palette d'émotions bluffante, faite de contradictions et de complexités. Avec son regard concentré, sa voix timbrée et ses interventions réfléchies, il contribue de la plus belle des façons à l'empreinte de la série. En observant l'analyste analysé, on s'aperçoit que nous sommes tous les mêmes, d'une façon ou d'une autre, et que personne ne se voile la face éternellement en période de crise.
C'est aussi ça le tour de force de cette création Arte. Elle nous fait suivre, presque malgré nous, une thérapie par procuration. Car, qu'on se le dise, les angoisses qui se jouent dans ce cabinet sont universelles : les sentiments qui se fanent, la peur du temps qui passe, de la mort, de la solitude, l'angoisse de ne pas trouver sa place et d'être passif dans une société qui part en vrille... Il y a un peu de nous même en chacun de ces patients car quand ce flot de paroles se libère, quelque chose de curieusement cathartique se produit.
Cela dit, je suis pas certain que la série plaise à tout le monde. Beaucoup se sentent extérieur, n'arrivent pas à s'impliquer et à trouver leur place dans ces récits intimes. En tout cas, les partis pris sont forts et nous mettent la puce à l'oreille si on ose jouer le jeu. Une chose est certaine, on est bien loin des séries habituelles regardées pour notre simple divertissement...