Bon il a bien fallu que je m’y mette. Bah oui, à force d’entendre parler de la série espagnole « La casa de papel » - un collègue de travail la qualifiait encore récemment de « chef-d’oeuvre » - je me suis décidé à mater la saison 1. Enfin, les 13 épisodes de la première partie de la saison 1 puisque celle-ci est manifestement scindée en deux parties. Pas besoin de poursuivre l’expérience, ma patience et mon indulgence ont quand même des limites: ces 13 premiers épisodes de la soi-disant nouvelle série-phénomène de Netflix suffisent largement pour découvrir la supercherie. Quand on voit le nombre d’excellentes séries proposées aux téléspectateurs (dont une grande partie est chroniquée sur ce blog, je vous le rappelle les amis), je me pose la question: le monde va t-il si mal pour faire de ce truc un tel succès?? Est-ce grâce au contexte social mouvementé que cette série racontant un braquage et prétextant mollement un pseudo message contestataire est brusquement sortie de l’anonymat dans lequel elle aurait dû restée?? D’ailleurs, cette idée de masques des braqueurs à l’effigie de Salvador Dali évoquant fortement ceux du collectif anarchique des « Anonymous » ne ressemblerait-elle pas à un acte manqué de la part des scénaristes?
Bon finalement ça fait trois questions et comme je n’ai aucune réponse à vous proposer, je vais me contenter de rappeler quand même le pitch: il s’agit en effet d’un braquage et d’une prise d’otages, soigneusement organisés dans les moindres détails par un génie, « le Professeur », celui-ci restant planqué dans son entrepôt pour filer les ordres à ses huit recrues, manipuler la police - au propre comme au figuré en ce qui concerne l’inspectrice Raquel Murillo - avec une aisance déconcertante, et tenter de retourner l’opinion publique en sa faveur en se faisant passer pour un chantre non-violent de la redistribution des richesses. Car le gang s’attaque ici à la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre de Madrid et a bien l’intention de taper l’incruste une dizaine de jours afin d’imprimer un petit milliard ou deux d’euros, rien que ça.
La série a été créée par un certain Alex Pina. Connais pas, mais quand on découvre après coup que le bonhomme a fait ses armes chez l’équivalent ibérique de TF1, Telecinco, chaîne hyper commerciale très critiquée en Espagne pour la qualité putassière de ses programmes (notamment de télé-réalité), on est beaucoup moins surpris de constater que sa série ressemble davantage à une vulgaire télénovela à la sauce braquo formatée pour la tranche des 18-24 ans qu’à un classique du huis clos anxiogène « braqueurs/otages » comme « Un après-midi de chien » de Sydney Lumet.
Mais faute de personnalité, le truc lorgne dès le début du côté des productions anglo-saxonnes et américaines - montage dynamique, musique rock et électro, voix off (inutile) - et ne fait donc que se tirer une bastos dans le pied en soulignant cruellement à quel point le niveau des créations outre-manche et outre-atlantique est difficilement égalable.
Le premier problème tient dans la crédibilité du scénario et de ses ressorts, qui étirent artificiellement l’intrigue jusqu’à l’indigestion. Cette « maison de papier » se chiffonne dès les premières épisodes et se transforme rapidement en une boulette de papier ballotée par les incohérences et les cliffhangers ridicules, notamment ceux concernant le cerveau de l'opération. Pardonnez-moi cette odieuse comparaison me permettant de proposer un petit exemple: là où la mécanique implacable d’une bombe comme « Breaking bad » nous faisait gober sans moufter les efforts de Walter White pour dissimuler son double, « Heisenberg », on ne croit pas ici une seconde aux stratagèmes déployés par le personnage de Sergio Marquina pour dissimuler sa seconde identité du « Professeur ». Certains rebondissements sont franchement gênants, comme la scène de la tasse de café avec la mère de Raquel, où celle dans laquelle il contacte en russe le gardien de la casse qui se trouve alors chez les flics en tant que témoin.
Mais ce personnage de chef de bande, malgré son absence totale de charisme, est loin d’être le pire, comparé aux autres…Alors non seulement les scénaristes, lors de l’écriture de leur caractère, leur ont réservé l’épaisseur d’un carpaccio de saumon, mais figurez-vous qu’ils s’avèrent tous plus débiles les uns que les autres, en particulier les huit braqueurs! Outre le stéréotype du petit branleur au ricanement gras incarné par « Denver » ou celui de l’allumeuse badass de service en la personne de « Tokyo », je ne sais plus si c’est « Helsinki » ou « Oslo »… euh attendez, là je crois que je dois ouvrir une petite parenthèse pour vous préciser que « le Professeur » leur a tous donné des noms de villes pour masquer leur identité, même si ils en ont de toute évidence rien à foutre puisqu’ils vont tous rapidement montrer leur visage aux otages! Donc je disais: je ne sais plus si c’est « Helsinki » ou « Oslo », les deux molosses ayant un tantinet la même tronche, mais il y en a quand même un qui ne sait pas ce que sont des… empreintes !!! Si, si, je vous assure, « le Professeur » se voit obligé de lui expliquer au téléphone!! J’exagère donc pas si j’évoque une certaine débilité profonde hein, on est d’accord? Ça pourrait être drôle si c’était une série comique mais non, tout ici est hélas servi au premier degré, plombé par une interprétation sans nuances et traversé qui plus est de sous-intrigues sentimentales ridicules.
Alors, grâce à une nouvelle ruse de renard imaginée par Marquina, rien d’étonnant finalement à voir tout ce petit monde retirer un instant son masque du peintre espagnol surréaliste pour en mettre un autre ressemblant à la figure effrayée du célèbre tableau « Le cri » d’Edvard Munch, puisqu’on a envie de hurler tellement tout cela est accidentellement surréaliste et effarant de connerie.
Les dialoguistes, si ils avaient eu l’idée ou le talent de placer quelques digressions savoureuses ou même de décocher quelques flèches de deuxième degré, auraient pu éventuellement relever un chouïa le niveau d’ensemble mais on reste là dans le domaine médiocre d’un banal soap. Le comble de l’ironie est atteint avec la seule réplique à retenir, d’une lucidité involontaire et terrible, cette phrase de « Nairobi » apostrophant le méchant « Berlin »: « Arrête tes conneries Berlin, on est pas dans un film de Tarantino! »
Doux euphémisme…