Née de parents séparés vivant modestement, Lucille Fay LeSueur grandit entre les petits travaux ménagers qu’elle effectue pour gagner de l’argent et sa passion pour la danse qu’elle pratique avec dévouement. Belle-fille du propriétaire d’un théâtre, elle fait ses débuts sur scène sous le pseudonyme de Billie Cassin (du nom de ce dernier) parcourant Chicago, Détroit ou Broadway en compagnie de sa troupe. Fraîchement divorcée de son premier époux, James Welton, à l’âge de 18 ans, elle se fait remarquer lors d’un concours de danse par le producteur de la MGM, Henry Rapf, qui lui propose de tenter sa chance au cinéma. La jeune fille y multiplie les figurations, jouant notamment les doublures de Norma Shearer, sa future concurrente, ou faisant une apparition non créditée dans La Veuve joyeuse de Erich Von Stroheim. C’est dans Les Feux de la rampe en 1925 qu’elle s’impose pour la première fois sous son propre nom. La même année, elle devient Joan Crawford, rebaptisée par le célèbre studio pour qui elle enchaîne une vingtaine de films muets, aux côtés notamment d’Harry Langdon (Plein les bottes) ou de Lon Chaney ().
Ambitieuse et travailleuse, Joan Crawford se fait remarquer en 1928, grâce à sa prestation de danseuse de night club dans Les Nouvelles vierges d’Harry Beaumont. Avec ses cheveux courts et ses conquêtes faciles, elle incarne la jeune fille moderne (délurée) par excellence, s’épanouissant sur les accords enjoués et audacieux de la musique jazz, emblématique des années 20. Après le succès du film, l’actrice voit son salaire augmenter et ses projets s’affirmer : sur le qui-vive, la MGM lui prépare Jeunes filles modernes (1929) et Our Blushing Brides (1930), les deux autres volets d’une série qui confirmera son talent en même temps que son passage réussi vers le parlant. Peu à peu, la protégée du grand patron Louis B. Mayer est modelée à la façon des stars de la Metro Goldwyn Mayer : pommettes relevées, sourcils arqués et épais, dents polies et redressées, lèvres charnues, elle est en outre confiée aux bons soins du célèbre costumier Adrian qui de 1929 à 1943 l’habille, à l’écran comme à la ville. Jouant hier encore les faire valoir des vedettes masculines Nils Asther et William Haines dans les drames Dream of love ou The Duke steps out, la comédienne impose désormais son style, à la fois glamour et sexy, devenant vite l’égale de Norma Shearer qu’elle remplace dans Il faut payer en 1930 ou de Greta Garbo aux côtés de qui elle s’illustre dans la romance Grand Hotel. Son mariage avec Douglas Fairbanks Jr. lui permet parallèlement de pénétrer plus avant dans les milieux fermés du beau monde hollywoodien.
Lorsque le krach de Wall Street sonne la fin de la prospérité, Joan Crawford quitte les rôles d’aristocrates oisives pour ceux d’employées désireuses d’échapper à leur condition. L’actrice représente dès lors sans conteste l’idéal américain selon lequel les origines familiales ou sociales ne sauraient être des obstacles à l’ascension individuelle. Dans Fascination en 1931, elle campe ainsi une ouvrière d’une petite ville de province tentant sa chance à New York. C’est aux côtés de Clark Gable dans ce film puis par la suite, qu’elle connaîtra les plus belles heures de sa renommée, formant avec lui un couple idéal, attirant, fusionnel et … lucratif. Les deux stars feront huit films ensemble, variant les genres, du drame (La Pente), au musical (Le Tourbillon de la danse (1933)) en passant par la comédie (Souvent femme varie, Loufoque et Cie (1936)). Moins à l’aise dans le registre de la screwball comedy, Joan Crawford a peu à peu du mal à se renouveler, imposant un même registre dans les rôles titres de Sadie McKee ou de de Clarence Brown, pour qui elle tourne sept fois, ou encore de de Frank Borzage qui la dirige quatre fois. Femmes de George Cukor lui rend la confiance du public : régnant sur la distribution féminine du film, elle s’impose franchement une dernière fois face à sa grande rivale, Norma Shearer. Suzanne et ses idées et Il était une fois du même cinéaste marqueront la fin de sa carrière prospère au sein de la MGM, qui à court de rôles pour elle, la "cède" à la Warner Bros.
Chez Warner, la grande star maison est Bette Davis. Mise en concurrence avec elle dès son arrivée, Joan Crawford connaît une renaissance magistrale avec Le Roman de Mildred Pierce, dont le scénario a été rejeté par la première. Émouvante comme jamais dans le rôle d’une mère dévouée et désenchantée, la superbe comédienne donne la réplique à Michael Curtiz dans un mélange soigné de film noir et de mélodrame, qui enflamme le public et la critique, et la récompense de l’Oscar de la meilleure actrice. Ses apparitions suivantes sont couronnées de succès. Sous la direction d’Otto Preminger dans Femme ou maîtresse, elle livre l’une de ses interprétations les plus naturelles, nuancées et délicates aux côtés des prestigieux Dana Andrews et Henry Fonda. Par la suite, sous l’œil affectueux du producteur Jerry Wald, elle sera employée à la Warner ou prêtée à la 20th Century Fox dans une série de rôles pensés pour elle seule, qui de 1945 à 1950 renforcent sa position d’icône vamp (La Possédée, Boulevard des passions de Michael Curtiz). En 1952, la comédienne quitte le studio et devient indépendante, alternant des rôles plus ou remarqués ; Johnny Guitar, le célèbre western de Nicholas Ray produit par la MGM, étant l’un des plus notables. C’est lorsque sa carrière commence à décliner que la Warner la remet en scène aux côtés de son autre égérie rivale, Bette Davis dans Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?. Un huis clos effrayant et un triomphe inattendu signé Robert Aldrich, qui réunit deux monstres sacrés vieillissants, au tempérament bien trempé. Par la suite, le metteur en scène propose aux comédiennes de tourner de nouveau sous sa direction dans Chut, Chut, chère Charlotte, mais Crawford malade décline l’offre, remplacée par l’amie de Davis, Olivia de Havilland. En fin de carrière, elle renforce son image sévère à l’affiche de films d’horreurs dont La Meurtrière diabolique. Après quelques apparitions à la télévision, elle quitte le métier au début des années 70, pour se consacrer à la multinationale Pepsi-Cola, que lui a léguée son quatrième mari. Elle décèdera d’un cancer à la fin de la décennie.
Dépeinte comme une mère violente et cruelle par sa fille (dans une biographie intitulée Maman très chère, qui fera l’objet d’une adaptation avec Faye Dunaway), ou croquée par Disney qui s'inspire d'elle pour le personnage de la Reine Sorcière de Blanche-Neige, Joan Crawford est l’une des stars les plus impressionnantes de l’Age d’or d’Hollywood, dont la sévérité n’a d’égal que la beauté saisissante et le talent.