Né dans l’Utah, Hal Ashby est très tôt confronté aux aspects les plus sombres de l’être humain. Fils de parents divorcés, il découvre à l’âge de 12 ans le cadavre de son père qui met brusquement fin à ses jours dans la ferme familiale. Cet évènement le marquera à jamais. Adolescent rebelle, le jeune et torturé Hal quitte le lycée à 17 ans pour se rendre à Hollywood, où il commence à travailler comme assistant monteur puis monteur (entre temps, il se marie à 19 ans et divorce presque dans la foulée). C’est par le biais de cette profession qu’il rencontre le réalisateur Norman Jewison, qui devient son mentor. Travaillant sur le montage de plusieurs films du célèbre metteur en scène (Le Kid de Cincinnati en 1965 ; L'Affaire Thomas Crown en 1968), Ashby est auréolé en 1967 de l’Oscar du Meilleur montage pour Dans la chaleur de la nuit.
Trois ans plus tard, Jewison le pousse à réaliser Le Propriétaire, une comédie grinçante sur les rapports entre Noirs et Blancs posant les bases des principales qualités (humour, personnages attachants, aisance dans la direction d’acteurs) et défauts (mise en scène souvent maladroite) des futurs films d’Ashby. Après ce premier essai plutôt réussi, il enchaine l’année suivante avec son film le plus connu, Harold et Maude. Cette comédie évoquant la relation amoureuse entre un jeune bourgeois suicidaire et une femme septuagénaire est encore aujourd’hui considérée comme culte. "Harold et Maude" est aussi un film extrêmement représentatif du cinéma américain des 70’s (apologie de la liberté, critique des conventions sociales, histoire centrée sur des personnages s’apparentant aux gens les plus banals, etc.).
Même si "Harold et Maude" n'est pas un succès commercial, Hal Ashby acquiert le statut de réalisateur de renom au début des années 70. Il poursuit sur sa lancée avec plusieurs films s’inscrivant clairement dans la veine du Nouvel Hollywood : La Dernière Corvée (1973), comédie dramatique récoltant trois nominations aux Oscars dont celle du Meilleur acteur pour Jack Nicholson ; Shampoo (1975), une autre comédie dramatique portée par Warren Beatty dans le rôle d’un coiffeur séducteur ; En route pour la gloire (1976), biographie consacrée au chanteur Woody Guthrie pendant la Grande Dépression ; Le Retour (1978), centré sur les ravages de la guerre du Vietnam avec Jon Voight ; Bienvenue Mister Chance (1979), satire sociale offrant à Peter Sellers l’un de ses derniers grands rôles. Mais le déclin progressif du Nouvel Hollywood n’est pas loin, et Ashby s’apprête à en devenir l’un des exemples les plus tristement représentatifs.
Comme pour beaucoup d’artistes indissociables des 70’s, les années 1980 constituent une véritable descente aux enfers pour Ashby, que ce soit sur le plan personnel ou professionnel : les films qu’il réalise deviennent nettement moins mémorables, et sa santé se détériore à une vitesse grand V. Son mode de vie - bien trop calqué sur l’état d’esprit hippie - y est pour beaucoup. Il s’effondre même littéralement sur le tournage du documentaire Rolling Stones, à la suite d’une overdose. Rongé par l’alcool et la drogue, peu nombreux sont les producteurs ayant assez de courage pour lui confier un projet (il se fait d’ailleurs régulièrement renvoyer avant l’entrée en post-production de certains de ses films). Ses rares réalisations (Lookin' to Get Out en 1982 ; "The Slugger’s Wife" en 1985, Huit millions de façons de mourir en 1986) sont constamment mal accueillies, tant par le public que la critique.
Lorsqu’Ashby tente de se ressaisir, il est déjà trop tard : le metteur en scène, rattrapé par ses excès, découvre qu’il est atteint du cancer du pancréas (l’un des plus douloureux). Pour ceux qui l’assistent dans ses derniers instants, le spectacle est insoutenable : Ashby est terrifié à l’idée de quitter le monde des vivants, et sa douleur physique est telle que même la morphine est impuissante. Il meurt peu de temps après son diagnostic à 59 ans. Son enterrement, auquel un grand nombre de "survivants" du Nouvel Hollywood se rendent, montre à quel point Ashby est quelqu’un d’apprécié dans le milieu. L’écrivain et critique de cinéma Peter Biskind a même choisi de terminer son vaste ouvrage "Le Nouvel Hollywood" sur ce moment chargé de mélancolie, perçu comme le symbole le plus marquant de l’effondrement de ce qui constitue l’essence du cinéma des 70’s. Considéré par beaucoup comme l'un des metteurs en scène les plus brillants de sa génération, Hal Ashby laisse derrière lui un parcours atypique, mais dont le schéma gloire/décadence est malheureusement trop souvent monnaie courante à Hollywood.
Auteur : Laurent Schenck