Cinquième enfant d'un couple expatrié au Chili et propriétaire d'un petit réseau de librairies, Alice Guy née le 1er juillet 1873 à Saint Mandé, au sein de la petite bourgeoisie. Après une petite enfance passée au Chili, elle rentre en France à l'âge de six ans pour être scolarisée avec ses soeurs en pension. La faillite de l'entreprise commerciale, le décès de son frère à l'âge de 17 ans suivi peu après de celui de son père, obligent Alice à s'occuper de sa mère. Instruite, passionnée de danse, de musique, d'opéra et de peintures, elle entreprend alors une formation de dactylo-sténographe; métier nouveau à l'époque.
A 21 ans, elle entre comme simple secrétaire au Comptoir Général de la Photographie. En 1895, la société est rachetée par Léon Gaumont qui en prend la direction, et commercialise des appareils comme le phonographe. Pour convaincre les exploitants d'acheter son appareil plutôt que ceux des concurrents, Léon Gaumont entreprend dès 1897 de produire des "vues animées" à fin de démonstration, mais n'envisage pas pour autant d'entreprendre une production régulière de films, encore moins de films de fictions, à la différence de son concurrent Pathé qui en fait sa principale activité.
"Mademoiselle Alice", comme on l'appelle alors chez Elgé, acronyme de la société "Gaumont & Cie", réussit à convaincre Léon Gaumont de changer son fusil d'épaule : d'accord pour réaliser des films à scénario, à condition que ce travail expérimental n'empiète pas sur son travail de secrétaire. Vers Pâques 1896, quelques semaines avant que ne débute l'activité de Georges Méliès, elle réalise La Fee aux Choux. Elle tourne devant une toile peinte par un éventailliste du voisinage posée sur le mur du laboratoire des établissements Gaumont, et dans le jardin de son pavillon, où elle a disposé des choux en carton. C'est ainsi qu'à 24 ans, Alice Guy devient la première femme réalisatrice au monde.
Le succès de La Fee aux Choux et des quelques bandes suivantes, toutes tournées en 60 mm, incite Léon Gaumont à créer un véritable département de films, dont Alice Guy prend naturellement la direction. Elle en est aussi la seule réalisatrice permanente jusqu'en 1905, à deux exceptions près. En 1899, elle accueille Ferdinand Zecca, temporairement brouillé avec Charles Pathé, le temps pour lui de réaliser Les méfaits d'une tête de veau. Profitant de l'agrandissement du studio de prises de vues, elle réalise en 1905 La Vie du Christ, superproduction avec 300 figurants. La même année, elle a le nez creux en embauchant celui qui fera quelques années plus tard les riches heures du studio : Louis Feuillade. "Mademoiselle Guy était une fort avenante personne, très intelligente et comprenant bien le cinéma tel qu'il était à cette époque" racontera Feuillade, dix-neuf ans après leur entrevue; "elle me demanda quelles étaient mes compétences dans cet art. Je lui affirmai qu'elles étaient fort étendues et qu'il ne tenait qu'à elle de me mettre à l'épreuve".
Pour Alice Guy, l'arrivée de Feuillade est une bénédiction. Car elle a ainsi plus de temps à consacrer à une activité qui la passionne : la réalisation de films parlants, appelés alors "phonoscènes", dont le son est enregistré sur des rouleaux de cire. En 1903, les premières projections commerciales avec ce procédé sont faites. D'abord au Musée Grévin, puis au Théâtre du Gymnase, où elle forment une attraction régulièrement renouvelée. En dépit des jalousies qu'elle suscite chez certains techniciens et ingénieurs de la maison Gaumont, Alice Guy se réserve l'exécution des phonoscènes. De 1903 à 1906, elle en réalise à elle seule plus de 400. Elle ne se désintéresse pas pour autant de la production de films populaires, que Feuillade assume pour l'essentiel. Elle ressent alors surtout le besoin de la diversifier et d'en relever le niveau, comme elle a tenté de le faire dans les mois précédents avec , La Vie du Christ ou La esméralda, d'après Notre-Dame-de-Paris de Victor Hugo. En 1907, elle épouse Herbert Blaché, un opérateur d'origine anglaise de l'agence Gaumont basée à Berlin. Le PDG du studio envoie alors ce dernier aux Etats-Unis en juin 1909 pour y promouvoir l'appareil de Gaumont : le chronophone. Avant de le suivre, Alice Guy fait nommer Louis Feuillade à la tête des studios.
Installé non loin de New York, le couple tente sans réel succès de promouvoir l'appareil. En 1910, elle monte avec son mari sa propre société de production, et faire construire un studio, basé à Fort Lee, dans le New Jersey. La société, baptisée Solax, est alors la plus grande maison de production des Etats-Unis, quelques années avant qu'Hollywood n'assoit sa prépondérance. Produisant des westerns, des mélodrames ou des films sur le Guerre de Sécession, la société connait durant une poignée d'années un succès critique et commercial.
A partir de 1914, la situation financière de la société devient tendu. Des problèmes de distribution obligent le couple à se placer et tourner sous la tutelle d'autres sociétés de productions, comme la Popular Plays and Players et US Amusements. En 1918, son mari la quitte pour Hollywood dans les bras d'une actrice. Commence alors pour elle une sombre et douloureuse période. Si elle parvient à tourner en 1918 The Great Adventure, succès commercial, elle essuie un gros échec deux ans plus tard avec La Flétrissure, tout en manquant de peu d'être emportée par la terrible grippe espagnole. Criblée de dettes, elle est obligée de vendre son studio de Fort Lee. En 1922, année où elle divorce, elle décide de revenir en France, et tente sans succès de renouer avec la réalisation. Le monde du cinéma, où règne désormais sans partage les grands studios, ne laisse plus de place à celle qui fut pionnière des productions indépendantes. Revenant aux Etats-Unis en 1927 avec ses deux enfants, elle s'installe à Mahwah dans le New Jersey, écrivant des contes pour enfants et donnant des conférences. Elle réside à cet endroit, non loin du studio de tournage qu'elle créa avec son mari, jusqu'à son décès à l'âge de 95 ans le 24 mars 1968.
Auteur : Olivier Pallaruelo