Si le genre de prédilection de Ginger Rogers était la comédie (parfois musicale), les premières années de sa vie ont davantage tenu du drame. Née Virginia Katherine McMath, elle est en effet très jeune lorsque ses parents se séparent, et son père accepte si mal la situation qu’il la kidnappe régulièrement, forçant le tribunal à intervenir. Une fois le divorce prononcé, elle part vivre chez ses grands-parents maternels, et sa mère sa remarie, en mai 1920, avec un certain John Logan Rogers, dont la fillette prendra le nom, le prénom "Ginger" venant quant à lui du fait que son cousin, ayant du mal avec "Virginia", l’appelait "Ginga".
Malgré un nom de scène tout trouvé, Ginger Rogers ne s’y destine pas immédiatement et songe même à devenir enseignante. Mais sa mère ne l’entend pas de cette oreille : en plus de fréquemment lui rappeler qu’elle "dansait déjà avant [sa] naissance", cette critique de théâtre l’emmène régulièrement en coulisses avec elle, et la jeune fille se découvre une vocation en chantant et dansant, à l’unisson, avec les acteurs présents sur scène. Le hasard la fera vite passer de l’autre côté du rideau rouge, lorsqu’elle remplace, au pied levé, le membre d’une troupe de vaudeville de passage dans le coin. Ginger Rogers y restera quatre ans, avec sa mère à ses côtés dans tous les moments de la tournée.
Une escale à New York marquera pour elle un nouveau départ, puisqu’elle décide de s’installer sur place et gagner sa vie en chantant à la radio, et se marie en mars 1929. Cette même année, elle retrouve la scène et fête Noël sur les planches de Broadway, pour la première de Top Speed. Deux semaines plus tard, elle est engagée pour tenir l’un des rôles de Girl Crazy, de George et Ira Gershwin, et y fait la connaissance d’un certain Fred Astaire. Chargé de régler les chorégraphies, celui-ci et la jeune femme ont une brève liaison, sans savoir qu’ils seront amenés à se recroiser et marquer le 7ème Art.
Avant ça, Ginger Rogers signe un contrat la liant, pour sept ans, avec la Paramount. Et, après une série de courts métrages, elle fait ses grands débuts sur l’écran de la même taille en 1930, grâce à Young Man of Manhattan, aux côtés de Claudette Colbert et Norman Foster. D’autres comédies musicales suivront (parmi lesquelles The Sap from Syracuse, Queen High ou Follow the Leader, toutes inédites en France), puis elle choisit de rompre son contrat pour s’exiler à Hollywood. Fraîchement divorcée, elle y enchaîne les films pour la RKO et Pathé, mais peine à rencontrer le succès, jusqu’en 1933 du moins.
Car s’il fallait trouver une année charnière dans la carrière de Ginger Rogers, ce serait bien celle-ci : avec pas moins de dix films, elle est à plein temps sur les écrans, et se paie le luxe d’enchaîner deux gros succès, grâce à 42ème rue et Chercheuses d'or, qui maintiennent la Warner à flot, alors que les Etats-Unis sortent de la crise. Elle retrouve ensuite Fred Astaire sur le plateau de Carioca. Si la romance n’a, ce coup-ci, lieu qu’à l’écran, l’alchimie qui se dégage de leur duo pousse les producteurs de la RKO à refaire appel à eux. Et c’est le carton du Danseur du dessus (1935), leur quatrième collaboration, qui achève d’en faire un couple mythique. De Roberta à La Grande Farandole, en passant par Sur les ailes de la danse ou L'Entreprenant M. Petrov, ils traversent les années 30 main dans la main et en musique, mais avec un succès moins important, à tel point qu'ils mettent leur collaboration entre parenthèses pendant près dix ans, jusqu’à Entrons dans la danse (1949), le dixième et dernier film dont ils partagent l’affiche.
"Ce n’est pas comme si nous étions Bud Abbott et Lou Costello. Nous avons chacun eu une carrière à côté", a déclaré Ginger Roger à propos de Fred Astaire. Et la sienne de carrière connaît un nouveau point culminant au début des années 40, grâce à Kitty Foyle, drame de Sam Wood qui lui vaudra son premier (et dernier) Oscar de la Meilleure Actrice. Une ironie du sort quand on sait qu’elle a longuement hésité avant d’accepter le rôle, rebutée par la sexualité explicite au cœur du roman dont le long métrage est tiré. L’année suivante, elle change de registre avec la comédie Ses trois amoureux où celle qui se sera mariée cinq fois hors des plateaux doit choisir entre trois prétendants.
Légèrement moins présente sur les écrans, malgré son statut de star la mieux payée en 1942, Ginger Rogers ne tourne plus qu’un film par an, pendant les années 40 et 50, oscillant entre comédies et drames. Elle donne tout de même la réplique à Cary Grant et Marilyn Monroe, devant la caméra d’Howard Hawks, pour les besoins de Chérie je me sens rajeunir. Sorti en 1952, le long métrage sera d’ailleurs son seul succès vraiment notable sur cette période, et sa carrière tourne de plus en plus au ralenti, si bien qu’elle s’éloigne des plateaux de cinéma pendant sept ans, après Ma Femme a des complexes (1957).
Une poignée d’apparitions dans des séries plus tard, Ginger Rogers reprend le chemin des plateaux sous la direction de William Dieterle (The Confession), mais ce retour sera de courte durée puisqu’elle fait ses adieux au 7ème Art l’année suivante, en 1965, à l’issue d’Harlow, la blonde platine, biopic consacré à une autre icône hollywoodienne dont elle a été contemporaine. Inédit dans les salles américaines, le long métrage n’offre donc pas la meilleure des portes de sortie à la comédienne, qui se tourne à nouveau vers Broadway et le petit écran avant de se retirer, en 1990, loin d’Hollywood qu’elle considère comme "une poubelle vide". Une poubelle qui aura pourtant été marquée par son passage, avec ou sans Fred Astaire, qu’elle a finalement rejoint après sa mort, le 25 avril 1995, en étant également enterrée au cimetière d’Oakwood Memorial Park, en Californie, tout près de celui qu’elle considérait comme "la chose la plus heureuse qui [lui] soit arrivée." Vu la façon dont ils ont écrit, ensemble, un pan entier de l'histoire du cinéma et de la comédie musicale, ça n’est vraiment pas difficile à croire.
Auteur : Maximilien Pierrette