Née en 1958 à Gros-Morne en Martinique, Euzhan Palcy se passionne dès l’enfance pour le cinéma. La lecture à 14 ans du roman La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel est déterminante dans son parcours. Ce récit autobiographique du quotidien d'un enfant noir et de sa grand-mère dans les plantations de canne à sucre en Martinique dans les années 1930 la confronte à un environnement familier qu’elle rêve de porter un jour à l’écran. Elle espère ainsi faire entendre sa voix et celles de ses compatriotes à une époque où les Noirs sont encore cantonnés à des rôles dégradants et à des représentations racistes.
Déterminée, elle réalise à 17 ans le téléfilm La Messagère pour la télévision française de Martinique puis s’envole pour Paris où, encouragée par son père, elle mène de front des études de lettres et théâtre à la Sorbonne et une formation de directrice de la photographie à l’École nationale supérieure Louis-Lumière.
Après avoir fait ses armes en tant qu’assistante sur plusieurs films, elle est en 1981 la première cinéaste originaire des Antilles à recevoir l’avance sur recettes du CNC. L’année suivante, elle réalise son rêve d’adolescente et signe son premier long-métrage, Rue Cases-Nègres, adapté du livre de Joseph Zobel. Le film est un succès et récolte à travers le monde une vingtaine de prix. Parmi ceux-ci, le César de la meilleure première œuvre, une première pour une femme cinéaste, qui plus est noire.
Repérée par Hollywood, elle traverse l’Atlantique et est invitée en 1985 par Robert Redford à développer son nouveau projet aux ateliers d'écriture et de mise en scène de Sundance, son festival consacré au cinéma indépendant américain. Elle adapte une nouvelle fois un roman, le best-seller anti-apartheid Une saison blanche et sèche d'André Brink, dans lequel un enseignant blanc prend peu à peu conscience de la violence du régime ségrégationniste lorsque le jardinier noir de l’école où il travaille est arrêté pour avoir voulu enquêter sur la mort de son fils. Pour ce film sorti en 1989 – à une époque où Nelson Mandela est encore prisonnier des gêoles sud-africaines –, elle dirige un prestigieux casting composé de Zakes Mokae, Donald Sutherland, Susan Sarandon et Marlon Brando, faisant d’elle la seule femme à avoir dirigé Brando (nommé pour l’occasion à l’Oscar du meilleur second rôle) ainsi que la première cinéaste noire produite par une major (la MGM).
Constatant que la représentation des Noirs à l’écran n’a toujours pas évolué, elle décide d’opérer un retour aux sources et de célébrer les Antilles avec Siméon (1992), conte musical porté par la musique du groupe Kassav’. S’ensuit une trilogie documentaire intitulée Aimé Césaire, une voix pour l’histoire (1995), consacrée à celui qu’elle considère comme son père spirituel.
Sa carrière se poursuit à la télévision, avec le téléfilm Disney Le combat de Ruby Bridges, l’histoire vraie d’une écolière noire qui fréquenta en 1960 un établissement réservé aux blancs ; le téléfilm documentaire Parcours de dissidents sur l’histoire méconnue des résistants antillais pendant la Seconde Guerre mondiale ; ou encore la mini-série Les Mariées de l’Isle Bourbon, qui revient sur un autre événement oublié : celui du mariage forcé de trois femmes à des ex-patriotes français au XVIIème siècle sur l’île de la Réunion.
En 2021 aux César, Jean-Pascal Zadi la cite dans son discours lorsqu’il obtient le prix du Meilleur espoir masculin, remerciant celles et ceux qui ont “ouvert la brèche”. Le 19 novembre 2022, Euzhan Palcy est récompensée par un Oscar d'honneur, couronnant son parcours exceptionnel. Elle devient la deuxième réalisatrice française, après Agnès Varda, à recevoir une telle reconnaissance.
Émilie Schneider