Un « must see » absolu de Ozu, que l’on peut voir actuellement au quartier latin dans une version restaurée et magnifiquement musicalisée, ce qui fait que l’on ne perçoit pas qu’il s’agit d’un film muet. C’est peut-être le meilleur film de Ozu, devant « Voyage à Tokyo » ou le « Goût du Saké » ses deux chefs d’œuvre, postérieurs. Car c’est le plus complet, le plus noir aussi, sur la condition humaine, axé sur la transmission d’une génération à l’autre et surtout de la transmission parentale, de l’exemplarité , complétement contemporain. Le film commence comme une comédie douce- amère, dans le monde des enfants. Un employé de bureau déménage avec toute sa famille, par suite d’une promotion. Ses deux garçons changent d’école et ont du mal à s’intégrer à ce nouveau groupe d’écoliers. Les deux frères subissent du « harcèlement », par un groupe de méchants, on est dans l’esprit de «La Guerre des boutons » et de deux bandes qui s’opposent , des codes de domination s’instaurent , enfantins mais durs, chef de bande des deux côtés , intimidation, brimades . Rien de « gentil » chez ses enfants, mais de la concurrence, de la jalousie et de la rancœur, très contemporain aussi .
La 2eme parie est cruelle, dramatique car elle va révéler aux garçons qui ont réussi à « dominer » l’ensemble de la bande concurrente, dont fait partie le fils du patron de leur père, ces 2 garçons vont découvrir que leur père est un être « dominé », qu’il n’est pas un mâle Alpha , mais un soumis. C’est pour eux, à 10 ans, la découverte du monde réel ,de la réalité de la nature humaine adulte , encore plus dure que celle déjà cruelle des enfants . L’image du père béni, du père adoré s’effondre. Pas de pitié pour l’autre, Darwin est bien là. Un raccourci et une illustration du drame de la civilisation humaine, non égalitaire, de l’organisation sociale , avec ses codes et ses castes, complétement actuel . Ce thème n’a quasiment jamais été abordé de manière aussi frontale : la filiation, le respect parental, de l’honneur. Suite à une séquence de projection de cinéma Super 8, les 2 garçons sont passés à l’âge adulte, insoutenable.
Des images sublimes, noir et blanc de leur retour de cette séance, dans une noirceur Soulagienne, ou proche des peintures de cauchemars de Goya. Ozu réussi un film très dur mentalement, d’une modernité étonnante, visionnaire, d’une fulgurance d’analyse, pessimiste mais lucide , que le studio avait tout d’abord refusé, trop noir, mais qui fut ensuite un immense succès commercial . Des cadrages au cordeau, alternance de plans fixes et de longs travelling, paysages de banlieues désertées, train qui filent au loin.