L’INNOCENT de Visconti (1976)
Dernier film du grand cinéaste italien, il a été réalisé alors que Visconti était paralysé sur un fauteuil roulant. Il n’était pas satisfait du montage mais il mourut d’une forme grave de thrombose et ne put y retravailler. Le film y aurait peut-être gagné en rythme mais tel qu’il est, sa beauté est indéniable. Visconti a fait appel comme toujours à Mario Garbuglia et à Piero Tosi pour les décors et les costumes. Le raffinement atteint son apogée avec des couleurs solaires, des toilettes qui semblent sortir des oeuvres de grands maîtres, des décors où chaque objet, chaque tableau, chaque tenture participent à la somptuosité époustouflante, poétique, picturale des images. Le film est une libre adaptation du roman de Gabriele d’Annunzio, "L’Innocente". Le personnage principal, Tullio, est d’une grande complexité : égoïste et cynique, il trompe ouvertement sa femme mais il s’éprend follement d’elle quand il comprend qu’elle lui échappe : Proust, que Visconti aimait et a failli adapter, n’est pas loin. Giancarlo Giannini incarne à merveille cet être dur et monstrueux dont l’amour pour les femmes est toujours, en réalité, un amour de lui-même. Visconti joue beaucoup des regards et des miroirs, en suggérant souvent les états d’âme de ses personnages par de légers signes. La revanche de Giuliana (magnifique Laura Antonelli au visage botticellien), femme au départ bafouée et méprisée par son mari, se lit à ses gestes et sur son visage. Assise dans un salon, elle sent une main sur son épaule et s’illumine. Mais elle se retourne et son visage s’attriste en voyant que c’est de son mari dont il s’agit. A un autre moment, elle rentre chez elle, se regarde dans un miroir, sourit et effleure ses lèvres. On comprend qu’elle se sent enfin exister et qu’elle vient de découvrir la volupté. Tullio, qui a découvert la liaison de sa femme, rencontre l’amant dans un club d’escrime et le regarde avec effroi se doucher, imaginant sans doute les ébats amoureux de celui-ci avec Giulianna. Nous ne la verrons jamais avec son amant mais tout est suggéré en quelques plans. Jennifer O’Neill, la maîtresse de Tullio, semble bouleversée quand celui-ci lui raconte un de ses méfaits -je n’en dis pas plus pour ne pas dévoiler l’intrigue - et ses yeux s’embuent de larmes : on comprend qu’elle est en train de se détacher de cet homme. C’est cela, le génie de Visconti, cette manière de suggérer, d’effleurer, de laisser deviner. Les critiques, sévères pour la plupart à la sortie de "L’Innocent", ont compris, avec le recul du temps, qu’ils avaient affaire à un grand film.