Bon dieu que c'est beau ! L'adaptation à l'écran du roman de Gabriele d'Annunzio (sympathisant fasciste) par Luchino Visconti (descendant d'une célèbre famille d'aristocrates mais ayant flirté avec le parti communiste) est tout simplement sublime (au fait, les parenthèses politiques, c'est juste pour l'anecdote car elles n'ont aucun rôle ici). Le dernier film de cet immense cinéaste est une oeuvre dérangeante mettant en scène un monde hautement bourgeois intérieurement pourri que la vie n'a cessé de corrompre moralement. Les tromperies et autres vicissitudes amoureuses vont bon train, les adultères limites libertins (dans la façon dont ils sont décrits psychologiquement au niveau des dialogues) ne cessent d'alimenter une intrigue riche en rebondissements qui sait toutefois s'attacher de très près aux comportements de ses protagonistes et leurs bouleversements. C'est bien l'évolution de leurs caractères qui forme l'essence d'une oeuvre entêtante mais terriblement morbide où les fantômes exercent un rôle important, où la mort ne cesse de hanter ces esprits allant tout droit en enfer. Perdus dans leur folie, ils craquent un-à-un, parfaitement caractéristiques des thèmes récurrents de Visconti avec en plus cette petite touche d'un désespoir nostalgique du passé, lucide d'un destin impossible à contrer, celui d'une fin proche que le cinéaste a rendu palpable au cours de deux heures fantastiques que l'on peut par ailleurs également interpréter comme un écho, pour ne pas dire une suite indirecte à ce grand chef-d'oeuvre qu'est "Le Guépard". Les acteurs sont tous irréprochables, s'étant remarquablement accaparés de rôle pourtant difficiles. Peut-être y-a-t-il un très léger trou dans la transition avec l'acte final... Après tout peu importe : la splendeur de ces images gracieuses garde constamment le dessus et offre le temps de quelques envolées lyriques un dernier voyage avec le maître avant que celui-ci ne retrouve ce fameux royaume des morts auquel il ne croit plus...
Ultime film réalisé par Luchino Visconti, L'Innocent raconte l'histoire d'un homme défiant en permanence les règles de la morale courante à Rome à la fin du dix-neuvième siècle. Il s'agit d'un superbe mélodrame au rythme assez lent certes mais aux images et aux interprètes somptueux. Visconti s'attarde sur les regards et filme ses acteurs en gros plans la plupart du temps. Le réalisateur démontre également que ces regards disent en permanence le contraire de ce qu'affirment les dialogues, en particulier pour le personnage de Tullio incarné par Giancarlo Giannini. Une histoire violente (la scène où l'enfant est exposé au froid de l'hiver est très dure), une histoire d'amour et de trahison conduisant à la mort telle une véritable tragédie. Laura Antonelli est superbe et ambigue. La deuxième partie pèche par un manque de rythme flagrant mais Visconti se rattrape par le soin extreme apporté à la mise en scène (certains plans évoquent des peintures) et à sa direction d'acteurs irréprochable. Pas un chef d'oeuvre mais un excellent film.