Rarement l'on aura vu une traduction d'un titre de film si judicieuse. L'impasse (Carlito's Way en anglais) raconte l'histoire d'un gangster, Carlito Brigante (Al Pacino, parfait), venant tout juste de sortir de cinq années de prison grâce à son avocat et ami, David Kleinfield (Sean Penn, parfait), alors qu'il était censé en faire trente. Au lieu de replonger dans l'univers de la mafia (dont il était pourtant une figure emblématique) et reprendre son trafic de drogue, Carlito décide de tout arrêter et de partir aux Bahamas avec la femme de sa vie (Penelope Ann Miller, parfaite) afin de monter une affaire honnête. Mais pour cela, Carlito doit trouver une forte somme d'argent, et entreprend alors de gérer une boite de nuit dont les habitués sont des des mafieux en tout genre. Et il n'oublie pas non plus qu'il doit une dette envers Kleinfield qui l'a sorti de prison.
En ouvrant son film par la dernière scène (chronologiquement parlant) où l'on voit Carlito se faire assassiner et dont son rêve s'évanoui (avec la métaphore de l'affiche de publicité qui est la seule du plan à être en couleur - rouge qui plus est), DePalma montre que le destin de son héros est inéluctable et irréversible. Parce que l'Impasse est un film sur la rédemption d'un homme, et dès le commencement, on sait que cette rédemption est impossible. Mais l'intérêt ne réside pas dans le fait que Carlito échoue, mais dans son parcours.
L'Impasse est un film sur la rédemption certes, mais c'est avant tout un film de personnage. Le propre des grands auteurs recherchant à imiter le réel sur le fond (que ce soit au Cinéma ou dans la Littérature) est de parvenir à transposer leurs personnages vers quelque chose touchant plus à l'allégorie, à la mythologie ou au mystique afin de, pourquoi pas, servir une réflexion ou une idée au spectateur. DePalma y parvient plutôt bien. Carlito Brigante cherche cette rédemption en se démêlant de ses démons du passé, chose impossible d'après le réalisateur qui fait du passé quelque chose qui hante l'individu, qui ne le lâche pas. Et même quand Carlito parvient à s'affranchir intérieurement, c'est un démon extérieur matérialisé par un petit caïd du bronx, Bennie Blanco, qui l'empêche de faire table rase sur son passé en l'assassinant avant que celui ci prenne le train. Il est d'ailleurs intéressant de relever le fait que Blanco est semblable à Carlito plus jeune (fait relevé par un personnage lors d'une scène dans la boite de nuit), c'est donc en quelque sorte sa propre image de gangster qui l'assassine, alors qu'il pensait l'avoir laissée tomber.
Kleinfield quand à lui, est à l'opposé totale de Carlito. Avocat prospère et ambitieux, il tombe peu à peu dans le monde de la mafia et de la drogue (quand Kelinfield assassine Taglialucci, Carlito lui fait même remarquer qu'il est bel et bien devenu un gangster). Mais voilà, Carlito a une dette envers lui et ne peut l'abandonner. Il décide donc de l'aider dans un ultime coup à faire évader un prisonnier. La scène phare de leur relation se situe juste après quand Carlito lui demande s'ils sont quittes. Kleinfield lui répond que oui, ça y est, Carlito s'est affranchi d'un nouveau démon de son passé, et peut donc s'en débarrasser (en retirant les balles de son pistolet).
Le personnage de Gail représente l'envie d'évasion de Carlito, son désir et son envie de laisser tomber les mauvaises affaires. Mais il ne peut au départ pas encore l'atteindre. C'est dans la scène où Carlito enfonce la porte de son appartement pour enfin coucher avec Gail que cette envie de partir est à son apogée. Mais on peut interprété cette scène comme une erreur de la part de Carlito. Sa rédemption n'est pas terminée (il doit encore entreprendre une évasion), et en enfonçant cette porte, il précipite cet "accès au paradis", et ne pourra, alors, jamais l'atteindre réellement.
A la manière d'un Scorsese, Brian DePalma parvient à se débarrasser de la mythologie mafieuse de son film en la transposant vers quelque chose de plus mythologue et allégorique. L'Impasse brille par son écriture (même si certaines scènes sont en trop) sa direction d'acteur et sa mise en scène. Grand film, donc.