Tous les points de sutures du monde ne pourront pas me recoudre … Brian De Palma retrouve Al Pacino après leur collaboration sur Scarface, l’indémodable film de gangsters, pour l’adaptation des romans d’Edwin Torres, Carlito’s Way et After Hours. Si De Palma était d’abord réticent de replonger dans les affres du banditisme latino, le scénario final, signé le prolifique David Koepp l’aura convaincu d’apporter son savoir faire à l’entreprise, globalement traditionnelle mais sur la forme, très personnelle. L’impasse revient sur la destinée de Carlito Brigante, trafiquant portoricain de drogue dans le Spanish Harlem des années 70. Sorti de prison grâce à la pugnacité de son avocat, à qui il doit la liberté, l’ami Carlito va tenter de se reconstruire, s’éloigner du milieu afin de s’exporter au soleil, réaliser son rêve. Mais la personne l’ayant fait sortir de prison s’enfonçant d’avantage dans la criminalité, le code d’honneur de Carlito le force à revoir ses projets.
Film saisissant, l’impasse est, techniquement, un mix entre les classiques de De Palma que sont Scarface et Les incorruptibles. Référentiel mais aussi très référencé, ce nouveau cru offre, pour ma part, la possibilité à Al Pacino de délivrer sa meilleure prestation d’acteur, ce qui n’est pas peu dire en regard à l’ensemble de sa carrière. Jubilatoire dans son parler, sa gestuelle, sensible et dur à la fois, l’acteur prend ici les reines d’un film monumental alors qu’il incarne l’exact opposé de ses rôles de Tony Montana ou Michael Corleone. La rémission est-elle possible? Le passé ne nous rattrape t-il pas toujours? Edwin Torres posait la question sur le papier, au tour de Brian De Palma de transposer cet incroyable destin d’homme des rues sur les écrans. Si dans un premier temps, la version initiale du scénario ne convainquait personne, il aura fallu inclure cette formidable voix-off pour que la narration soit optimale, d’une clairvoyance exceptionnelle.
Le film n’est en somme qu’un trait d’union entre la première et la dernière séquence, une remémoration d’un dernier tour de piste qui permet à l’ex gangster de renouer avec son ancien amour, de s’enrichir proprement et de replonger bien malgré lui dans la milieu, à la suite de son avocat, David Keinfeld alias un extraordinaire et méconnaissable Sean Penn. Sa réputation suffira t-elle à Carlito pour survivre à cette nouvelle incursion dans le banditisme alors que les familles italiennes deviennent des monstres en quête de vengeance? Comment préserver le lien fraternel qui unit le voyou repenti et son avocat verreux? Un tas de question auxquelles le scénario donne une réponse, dans la douleur, la joie ou la mélancolie. Comme le souligne De Palma lui-même, le final de son film est le romantisme par excellence. L’on ne pourrait lui donner tort.
Pour une fois, un film de gangster n’est pas simplement un objet de culte, un malheureux modèle social suivi par une jeunesse désemparée, mais un réel drame, soutenu, triste et réjouissant à la fois. Comment ne pas choper la chair de poule lorsque Pacino, en voix-off, commente son dernier voyage, les yeux au plafond? … Ne m’emmenez pas à l’hôpital, leurs putains d’urgences à la con n’ont jamais sauvé personne. Il y a toujours un moyen pour qu’un mec vous flingue à minuit, ou il ne reste de libre qu’un interne chinois avec un gros thermomètre… Que de sorties cultes, tristes et émouvantes. Un film gracieux qui renvoie bien des cinéphiles à leurs copies. … J’espère qu’elle prendra l’argent et s’en ira, il n’y a pas de place pour un cœur aussi gros que le sien dans cette ville… 19/20