Pour conclure ses contes des quatre saisons, Eric Rohmer avec «Conte d’automne» (France, 1998) met en scène un marivaudage dans lequel se lient et se délient des calculs amoureux laissés gré ou malgré dans les trois précédents contes aux mains du hasard. Dans l’automne de Rohmer, les femmes sont seules, alors qu’elles présentaient jusque là des allures manipulatrices, tenaient en leur sein les décisions de Dieu, comme le confirme l’adage : «ce que femme veut Dieu le veut». Femme seule ? Dieu impuissant pour un monde sans hasard, sans mystère. La grâce, garrot fondateur de l’œuvre de Rohmer, n’est, elle, pas absente. Chacun des membres de cette mascarade des amours porte en lui, comme tous les acteurs dirigés par le cinéaste, la fragilité de sa condition de personnage et le don délicat de leur interprétation. Plus que dans aucun des contes, Rohmer souligne ce rapport ambigu que possèdent l’image et le mot. Les dictions singulières qui caractérisent les acteurs rohmériens élaguent tous jeux pour préférer une tonalité, une musicalité des mots, défaits de maniérisme. Plus que de réfuter le jeu des voix, les acteurs de Rohmer, en aplanissant au mieux leurs intonations, s’ouvrent à l’intelligibilité de leurs propos. Aplanie, la voix de leur personnage n’est plus un obstacle au spectateur pour pénétrer au mieux les intentions et celui-ci peut, de ce fait, plonger cœur premier dans les situations. Rien, sinon par soucis du spectateur, ne semble justifier ce choix tout bressionien de soustraire aux acteurs leurs manies vocales. Le naturel des jeux participent également à ce raffinage des habitus. Là réside la singularité la plus contraire de «Conte d’automne». Sans jouer, les acteurs, et par leur biais les personnages, doivent jouer des situations, manigancer des intrigues. Ne pas simuler les simulacres que l’on se donne à faire, voilà le pari qui régit en latence cet ultime conte. Les plaisirs rocambolesques des jeux de l’amour emplissent le film d’enthousiasme.