Le sabreur manchot apparaît sous le nom de Yang Guo dans The Mythical Crane Hero, roman à épisodes de l'écrivain chinois Jing Yong. D'abord personnage secondaire, cet infirme invulnérable fascine le public par le paradoxe qu'il constitue. Le réalisateur Chang Cheh, qui recherche un héros susceptible de contribuer à une refondation du cinéma d'action, ne tarde pas à s'emparer du personnage. Avec son scénariste Ni Kuang, ils donnent naissance au film Un seul bras les tua tous (1967), premier volet d'une saga à succès qui se poursuit avec Le Bras de la Vengeance (1968), et enfin La Rage du tigre.
Pour ce troisième épisode de la saga, David Chiang succède à Jimmy Wang Yu dans le rôle-titre; ce dernier, devenu une star, vient de quitter la Shaw Brothers en raison d'un désaccord financier. Au départ, le film est même conçu par ses producteurs, plutôt vindicatifs, comme une façon de court-circuiter l'acteur. Ce troisième volet tranche donc avec ses deux prédécesseurs, le réalisateur et son scénariste ayant décidé de briser les codes qu'ils avaient eux-mêmes édictés, renouvelant radicalement la série.
Les films suivants renoueront pour leur part avec l'esprit des deux premiers épisodes. Une production taïwanaise (The One Armed Swordsmen) organisera cependant en 1976 une rencontre officieuse entre les deux versions et les deux interprètes du personnage.
Au départ, l'acteur ne souhaitait pas reprendre le rôle du sabreur manchot, considérant que seul Jimmy Wang Yu, héros des deux premiers épisodes, pouvait l'incarner. S'il se laissa finalement convaincre, c'est parce que le réalisateur lui assura que La Rage du tigre serait une variante de l'histoire originale. Quant à Jimmy Wang Yu, qui était son ami, il le retrouva peu après : A l'époque, j'étais autorisé à tourner un seul film par an avec une société extérieure à la Shaw Brothers. Je savais que la Shaw Brothers et Jimmy Wang Yu avaient un différend, mais comme j'étais rebelle et provocant, j'ai accepté de tourner avec Jimmy, juste pour voir. (...) Nous avons joué et co-réalisé en 1976 The One Armed Swordsmen. D'un point de vue commercial, faire se confronter les deux héros manchots dans un même film était très bénéfique".
David Chiang a vécu un tournage assez pénible. "Je suis habitué à manier l'épée de la main droite. Dans le film, mon bras droit est amputé. Pour certaines scènes de combat, je devais sauter, rouler par terre avec mon bras droit attaché et dissimulé derrière mon dos, c'était infernal".
Ti Lung, qui interprète ici le rôle de Feng, jouait déjà dans Le Bras de la Vengeance. Sa langue maternelle étant le cantonais, il lui a fallu apprendre le mandarin pour pouvoir travailler à la Shaw Brothers. "A l'époque, seules les compagnies indépendantes produisaient des films cantonais alors que les films mandarins s'imposaient sur le marché de l'Asie du sud-est et à Taïwan".
Deux remakes, qui retournent à la source de la saga, ignorant les frasques du troisième épisode, méritent d'être cités : Frères d'armes -dans lequel joue David Chiang-, et The Blade de Tsui Hark, qui suit avec exactitude une grande partie de la trame du film de 1967.
Le sabreur manchot rencontra en 1971 son alter-ego japonais, le masseur aveugle Zatoichi, autre légendaire héros infirme dont les aventures furent portées à l'écran à de multiples reprises (par Takeshi Kitano, entre autres, en 2003), dans le film Zatoichi Meets the One Armed Swordsman.
La mythique maison de production des frères Shaw partage avec la Golden Harvest (fondée par Raymond Chow, alors qu'il venait juste de quitter... la Shaw Brothers) la particularité d'avoir exercé une forte influence sur le cinéma d'action occidental. Quentin Tarantino s'est ainsi en partie inspiré de productions estampillées Shaw (comme La Rage du tigre) pour son Kill Bill : volume 1 : univers visuel et musical, cadrages, récit d'une vengeance, combats spectaculaires opposant un héros à des centaines d'opposants...