Tandis que le personnage se voit massacré dans des comédies françaises ineptes et dans un remake sans âme, revenons à la fameuse itération animée des studios Disney.
Aladdin est un jeune voleur tombé amoureux de la princesse Jasmine. Après s’être fait manipuler par le vil vizir Jafar, il se retrouve en possession d’une lampe magique habitée par le Génie…
Les studios Disney ont l’habitude de se réapproprier des contes et histoires connus par tous de diverses manières. Difficile de ne pas connaître leurs versions de « Blanche-Neige et les sept nains », « Cendrillon » ou « La belle au bois dormant », piliers dans le domaine du cinéma d’animation. Certaines versions se sont vu modernisées, comme « Oliver et compagnie », relecture animalière et New Yorkaise d’« Oliver Twist », d’autres complètement réaménagées pour gommer une certaine noirceur comme « La petite sirène » ou « La reine des neiges ». « Aladdin » rentre dans une catégorie à mi-chemin dans sa manière de marquer une certaine évolution dans la technique d’animation, avec l’utilisation du numérique. De quoi marquer des personnages plus mobiles et proches par moments d’un certain slapstick (comme dans la poursuite introduisant notre personnage principal). La modernisation se fait ainsi plus dans la forme que dans le fond, malgré les nombreuses références faites par le Génie.
Ce dernier, n’apparaissant pourtant qu’après un tiers du film, en est pourtant son moteur principal par sa symbolique. Il est introduit comme un champ infini de possibilités restreint par les règles l’entourant, un peu comme Aladdin, ce diamant d’innocence obligé de voler pour manger. Ses pouvoirs en font un cadeau mais également une forme de malheur : en pouvant influer (avec une certaine limite néanmoins) sur les actes des gens, il risque de leur faire perdre la notion de difficulté dans l’accomplissement. Si un coup de main peut être salvateur, il risque également de faire oublier à quel point une victoire, personnelle ou non, est plus gratifiante après avoir franchi les épreuves nous ayant séparé de celle-ci. Les capacités du Génie peuvent ainsi nous faire oublier notre faillibilité et augmenter de manière artificielle notre ego. Le « mensonge » d’Aladdin est donc moins le point central de la narration, comme le pratiquent beaucoup de films et téléfilms actuels. Il n’y a pas de réel mensonge à pardonner, plus une capacité à se remettre en question sous peine que notre arrogance nous aveugle en nous menant à notre perte. Le Génie est également un agent normatif malgré lui en limitant les possibilités d’action (trois vœux) et en instaurant un rapport de servilité avec son maître. C’est en restant soi-même et en outrepassant avec malice et intelligence ces normes restrictives que l’on peut atteindre une plénitude libératrice.
De quoi rappeler qu’« Aladdin » est également une histoire de classes mais aussi de renfermement social. En confrontant deux formes d’enfermement (la pauvreté et la cage dorée) dans un dialogue entre notre héros et la princesse, on comprend l’universalité de l’emprisonnement poussé par une certaine norme. Les problèmes d’argent de la population d’Agrabah relèvent d’une politique aveuglant le pouvoir dirigeant pour mieux justifier ses actions tandis que le besoin de Jasmine de connaître le monde extérieur relève de traditions rétrogrades. En soi, l’affranchissement final du Génie résonne comme l’affranchissement d’une société qui ne pourra plus être esclave des desiderata de certains puissants ni de lois ancrées dans un passé répressif. Quand certains individus permettent de faire passer leurs besoins après ceux du plus grand nombre, la société peut s’améliorer d’elle-même mais encore une fois, il faut lui laisser cette possibilité…
La chanson « A whole new world/Ce rêve bleu » s’installe par une dynamique de mise en scène permettant cette possibilité de liberté. Commençant par une conversation agressive sur un balcon (forme de limite symbolique), la tournure de celle-ci s’adoucit une fois qu’Aladdin saute de celui-ci et dévoile, sans y réfléchir (et donc agissant avec spontanéité) son tapis volant. En y faisant grimper Jasmine, il lui permet d’aller plus loin que l’horizon qui la barre. Les deux personnages chantent ainsi leur bonheur de découvrir un « tout nouveau monde », un tout nouveau champ de possibilités qui les libère de leurs restrictions sociales. Le tapis volant devient agent libérateur, appuyant son rôle en aidant Aladdin à embrasser Jasmine malgré sa présence sur le balcon, les séparant par une certaine hauteur. Une fois affranchis des normes, des frontières sociales et des décisions emprisonnantes, l’amour ne peut plus avoir de limites.
On a donc pu voir une certaine réflexion derrière le film mais ce qui en fait un classique du genre passe également par la forme dynamique. La mise en scène de Clements et Musker (également derrière « La planète au trésor » ou récemment « Moana ») participe à donner un ton intemporel, évitant le clin d’œil trop vite daté pour faire mouche dans l’agencement de son histoire et de ses personnages. Les musiques d’Alan Menken s’intègrent dans la narration pour la faire avancer ou caractériser au mieux ses protagonistes, en plus d’être diablement efficaces (que la personne qui n’a jamais chanté/dansé sur « A friend Like me » ou « Prince Ali » nous jette la première pierre). L’intrigue amoureuse est classique mais dispose toujours d’autant de sensibilité pour toucher un large public. Quant à Robin Williams, sa prestation mémorable en Génie est représentative de la dynamique d’une œuvre allant à 100 à l’heure tout en ne perdant pas son public.
Classique Disney mais également de l’animation en général, « Aladdin » est un film familial idéal, ne réduisant pas son humour ou son message à une simplification aliénante, grossière et même immorale (à l’opposé de certaines adaptations françaises plus récentes). C’est au contraire un film qui embrase son imagerie et ses thèmes pour s’installer au même niveau que le conte qu’il adapte. Bref, une véritable réussite intemporelle, au contraire de ses copies douteuses sans âme