Certains éléments ont vieilli : le jeu très posé des comédiens, la musique stridente à chaque moment de tension (et il y en a beaucoup), la tirade moralisatrice qui conclut le film. Cela peut expliquer les rires gras, totalement déplacés, de certains spectateurs pendant la projection. Pourtant, cette "Servante" reste passionnante à bien des égards. Kim Ki-young est un réalisateur de grand talent, inventif et précis, qui sait utiliser avec beaucoup d’efficacité toutes les ressources d’un espace réduit : caméra dans le placard de la cuisine, traveling entre la chambre de la servante et la pièce du piano, etc. Avec lui, l’escalier central de la maison devient un champ de mines qui sépare deux mondes en guerre ; les portes deviennent des frontières qu’on ne franchit qu’à ses risques et périls. Car ce qui frappe aussi, c’est la cruauté incroyable des rapports entre les personnages. Depuis le début, avec ce renvoi de l’amoureuse éconduite qui aboutira à sa mort, jusqu’aux corps-à-corps terribles du final. Personne n’y échappe, et surtout pas les enfants, qui sont loin d’être des petits anges : sadiques entre eux, odieux avec la servante… Celle-ci, qui apparaît tardivement dans le film et, semble-t-il, presque par hasard, est d’abord une victime de la violence de cet univers. Mais une victime qui va se rebeller pour réclamer sa part d’amour et sa place au soleil dans la société. Quand on la lui refusera, l’escalade se révèlera meurtrière. Oscillant entre la naïveté, la fragilité et une sombre détermination ouvrant sur des abîmes de violence, le jeu de la superbe Lee Eun-shim annonce celui de beaucoup d’autres héroïnes effrayantes du cinéma asiatique. Il est le centre de gravité (bien plus que le falot personnage du prof de musique) d’un film scandaleux à sa sortie, fondateur dans l’histoire du cinéma coréen et qui garde encore aujourd’hui un pouvoir de séduction et de corrosion incontestable. Merci à ceux qui ont rendu possible sa préservation, sa restauration et sa distribution !