Classique du cinéma sud-coréen, gros succès national des années 1960, La Servante est le neuvième film de Kim Ki-young qui rompt avec une inspiration jusque-là plutôt historique et néoréaliste pour verser dans un drame domestique aux accents de thriller et d'épouvante. Le réalisateur adopte au passage un style nouveau au sein de la production du pays : noir et blanc très contrasté, jeu de plongées et de contre-plongées inquiétantes, musique qui vrille les nerfs... On est loin des mélos à la mode des années 1950. Longtemps resté inédit hors de ses frontières, le film a bénéficié en 2008 d'une restauration grâce au soutien de la fondation créée par Scorsese (qui trouve ce long-métrage remarquable) et d'une nouvelle diffusion dans quelques pays dont la France en 2012.
Alors, qu'en est-il exactement ? Sur le fond, c'est un tableau social plutôt cinglant et sarcastique, celui d'une classe moyenne un peu à cran, coincée entre des conventions sociales et morales, obsédée par un bonheur matérialiste (la maison, la télévision et autres biens de consommation). Un bonheur fragile que le réalisateur s'applique à troubler grâce à un élément perturbateur, annoncé par la présence d'un rat dans la cuisine, puis incarné humainement par une servante qui va méchamment inverser le rapport de forces au sein du foyer où elle travaille. Le déroulé dramatique associe mélodrame échevelé et thriller/épouvante hitchcockien dans un pot-pourri d'adultère, de culpabilité, de sacrifice, de chantage, de vengeance... Tout cela en quasi-huis clos. Le réalisateur y va avec une audace certaine, mais pas avec le dos de la cuillère. Ce qui s'annonçait piquant et décapant devient de plus en plus exacerbé, voire excessif, et lourdement appuyé dans la recherche d'effets (musique, surjeu des acteurs...). Et le plus dommage, c'est que ce petit théâtre de la cruauté et de la perversité n'assume pas sa noirceur jusqu'au bout, avec une pirouette finale, très morale mais pas très heureuse. Bref, on pouvait s'attendre à mieux. Sur le même thème, trois ans après la réalisation de ce film, Joseph Losey fera plus subtil avec... The Servant.