Le Cinéma substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs. Sunset Boulevard est l'histoire de ce monde.
Le film s'ouvre avec une voix off, un meurtre et le dénouement de l'histoire. Jusque là tout les codes du film noir sont respectés. Oui mais voilà, comme avec Some Like Hot, il faut se méfier de ce que Wilder nous montre, parce que Sunset Boulevard tend à d'autres genres. Le narrateur vient de se faire assassiner, et c'est son histoire qu'il nous raconte ; le récit est donc ancré dans un univers plus onirique. Et une des forces du film, est justement de savoir mélanger les genres avec maestra, et servir ainsi différents niveaux de lecture au spectateur.
Sunset Boulevard est un film sur le Cinéma. Vers les années 50 un scénariste de séries B ayant besoin d'argent tombe par le plus grand des hasards sur une ancienne star du muet, vivant dans une gigantesque maison avec comme seul compagnon son valet. Celle ci lui propose de l'aider à écrire un film sur Salomé qu'elle interprétera, en échange d'une grosse fortune. En quelque sorte, on est dans une thématique mise en abime. Car un des propos majeur du film est justement la force du Cinéma sur un individu, et ses conséquences. Sunset Boulevard parle de la différence entre la réalité et la fiction, dont la confusion peut entrainer la folie et la perte de l'âme. Et c'est exactement ce qui arrive au personnage de Norma Desmond. Et c'est en cela qu'elle représente un des plus beaux personnages de l'histoire du cinéma ; elle incarne cette passion dévorante envers le 7e art. Vivant en autarcie, coupée du monde, elle reste enfermée dans ses souvenirs de grandeur, oubliant sa décadence dû à l'arrivée du parlant, telle une illusion perdue.
"Je suis une grande ! Ce sont les films qui sont devenus petits !"
Et il est rétrospectivement intéressant de constater que Norma Desmond s'éprend de Joe Gillis, un scénariste de seconde zone. Elle qui à son époque était une idole pour nombre de personnes ; la dominante devient alors dominée, face à un personnage opportuniste et matérialiste au départ. Wilder peut ici être vu comme un réel nostalgique, et critique un certain penchant hollywoodien à oublier ceux qui ont fait leur gloire. Et le discours peut différer selon les points de vus, et en cela, le film est dénué de tout manichéisme dans son propos. Sunset Boulevard est en premier lieu une critique d'Hollywood, une usine à rêve dont le vrai visage s'avère être beaucoup moins radieux dans le traitement de ses vedettes. On peut y voir également une critique du public, qui, à l'instar du cinéma, évolue (passage du muet au parlant) et oublie - Joe Gillis parle même de "statues de cire" en ce qui concerne les anciennes célébrités du muet. Au vu de la trame du récit, Norma Desmond est une sorte de représentation du diable, et sa maison, de l'enfer. Cette métaphore montre qu'une fois pris dans son jeu, Joe Gillis ne peut plus faire marche arrière. Il essayera, mais échouera à chaque fois en retournant vers Norma. Et quand, à la fin du film, il décide enfin de partir, celle ci l'assassine. Et l'une des dernières répliques du film représente parfaitement cet état d'esprit qu'insuffle Wilder avec son personnage "On ne quitte pas une star, c'est ce qui fait d'elle une star". Et Sunset Boulevard se rapproche même quelque part du genre horrifique.
Un passage du film résumerait bien le propos de Wilder, et ce conflit des générations. Croyant que Cecil B. DeMille ait accepté de tourné Salomé, Norma décide d'avoir recours à une sorte de chirurgie esthétique afin de retrouver sa beauté et sa jeunesse étincelante d'autrefois. Mais en regardant dans le miroir elle se rend compte du symbolisme que prend son acte : son masque de maquillage tel le fameux masque que chaque individu se créé pour vivre en société, ce mensonge qui démontre la différence entre inconscient, conscient et subconscient - thème d'ailleurs relevé dans Persona de Bergman, qui inspira David Lynch pour Mulholland qui est lui même inspiré de … Sunset Boulevard.
Si Sunset Boulevard représente un véritable fantasme de cinéphile, il est également un sublime objet cinématographique pur. Son écriture brille par sa dextérité dans le récit, sa perfection dans l'enchainement des péripéties - ici, rien n'est laissé au hasard et chaque scène pourrait être l'objet d'une étude approfondie, ses dialogues qui représentent à eux seuls tout ce que le Cinéma peut donner de meilleur et contribuent grandement à la création des personnages, terriblement fascinants et une mise en scène magnifique - toute en retenue qui offre des scènes splendides. Sunset Boulevard c'est aussi un des plus grands personnages de l'histoire du Cinéma, en la personne de Norma Desmond, interprétée par une Gloria Swanson qui puise jusqu'au bout de son âme pour lui donner vie. Sunset Boulevard est un film merveilleux, magique, sublime qui transporte son spectateur dans un autre monde, celui du 7art.