Grand classique du cinéma japonais, "Rashomon" a, également, marqué le cinéma occidental en créant un genre à part : le récit même raconté selon différents points de vue (voir, entre autres, l’excellent "Basic" de McTiernan). On retrouve, donc, ici le meurtre d’un homme raconté par son épouse, son assassin, un témoin et par le fantôme du mort lui-même à grands coups de flash-back… ce qui permet au réalisateur Akira Kurosawa de faire évoluer son histoire au fil du récit, en montrant, au passage, que la vérité n’est pas forcément aussi simple que celle qui semblait s’imposer. La mise en scène du réalisateur se met, ainsi, au service de son propos et contraint le spectateur à revoir constamment son jugement sur les événements. Il a, d’ailleurs, l’intelligence de ne pas forcément donner toutes les clés du récit en laissant un certain nombre de réponse en suspens… le spectateur étant, ainsi, invité à se forger sa propre opinion sans certitude. En cela, "Rashomon" est un exercice de réflexion intéressant, surtout à une époque où les images tendent à imposer une opinion à un public pas forcément désireux de s’interroger plus avant. Le propos du film est, par ailleurs, très politique puisque Kurosawa l’a tournée en 1950, c’est-à-dire après l’explosion des deux bombes nucléaires sur le sol japonais et la capitulation… soit deux évènements traumatisants qui ont profondément bouleversé le pays. Et Kurosawa ne manque pas d’évoquer ce Japon post-Hiroshima à travers cette histoire (qui se déroule, pourtant, à l’époque médiévale) qui traite de l’écroulement des valeurs dans un pays ravagé par la guerre mais, également, de l’espoir de jours meilleurs. Maintenant, soyons clairs : "Rashomon" reste un film japonais de 1950 et, de ce fait, n’est pas forcément très facile d’accès pour un public contemporain. Il faut, quand même, être très cinéphile (ou vouer un culte ou cinéma asiatique) pour ne pas grincer des dents devant les habituels "excès" des productions nippones, que ce soit les interminables envolées lyriques déclamés par un personnage qui se croit au théâtre, le rythme franchement lancinant de la mise en scène (alourdi par la musique !) ou, encore, le jeu terriblement outrancier des acteurs. Pour autant, une fois accepter cet écueil, le casting peut s’avérer surprenant, avec un Toshiro Mifune en bandit complètement barré mais, également, touchant, Machiko Kyo en épouse trop éplorée pour être honnête ou encore un Takashi Shimura en bûcheron traumatisé. "Rashomon" est, donc, un film à voir pour sa culture cinématographique mais suppose un certain effort. Difficile, dès lors, pour moi, de m'enthousiasmer totalement malgré tout ce qu'il aura apporté au cinéma moderne...