Saimir a participé à de nombreux festivals. Il a remporté plusieurs prix, dont la Mention Spéciale du meilleur premier film à la 61ème Mostra de Venise, ainsi que le Grand Prix au Festival du Cinéma Italien d'Annecy (2005) et au Festival International du Premier Film d'Annonay (2006).
Après avoir réalisé plusieurs courts métrages et deux documentaires, l'Italien Francesco Munzi réalise avec Saimir son premier long métrage.
Saimir est le premier rôle interprété par Mishel Manoku, étudiant dans la vie. Prendre un acteur non professionnel était un choix délibéré du réalisateur : "D'un côté, il y a la volonté de filmer l'inquiétude de Saimir, sentiment universel qui dépasse son origine albanaise et d'autre part, j'avais envie de représenter une réalité que je ne connais pas. Le choix d'un acteur non professionnel devient fondamental pour interpréter le personnage principal, afin d'exprimer ce sentiment d'inquiétude. "
Le réalisateur explique le choix du titre de son film : " C'était un choix assez difficile. Mais ce titre correspond à ce que je voulais raconter : l'histoire d'un adolescent à la première personne. Souvent au cinéma, on aborde l'autre, ou un sujet d'un univers différent du sien, à travers un personnage dans lequel le spectateur s'identifie. Ce personnage devient une sorte de guide et le film se développe à partir de cette relation. Je voulais me mettre dans la peau de l'autre et adopter son point de vue. "
Le tournage s'est déroulé en Italie près de Rome, et notamment sur des plages très fréquentées pendant l'été. Le réalisateur revient sur les réactions des spectateurs italiens : " En Italie, les spectateurs me demandent souvent où a été tourné le film, dans quelle partie de l'Albanie. Quand je leur dis que le film a été tourné près de la côte du Latium à quelques kilomètres de Rome, sur ces plages pleines de monde en été, ils sont très surpris. Et cette stupeur me fait plaisir : mon ambition était de montrer une Italie qu'on ne voit pas car elle n'est pas médiatisée. Quand on parle de pauvreté, il y a souvent un côté voyeuriste. Je ne veux pas aborder ce sujet sous un angle sociologique. Faire un film correspond pour moi à un sentiment profond. Ce sentiment me guide aussi bien dans la préparation du film que dans la documentation ou la recherche des lieux. Le reste vient après. "
Francesco Munzi explique le processus du passage de la création d'un personnage écrit à son incarnation à l'écran : " Comme je ne suis pas un artiste peintre, je ne peux pas dessiner le modèle tel que je l'imagine. Je dois le trouver en chair et en os. Durant les essais, les personnages et les visages des acteurs doivent petit à petit s'approcher jusqu'à coïncider. Tant que je ne trouve pas ce moment, je ne m'arrête pas. Il est nécessaire d'avoir une grande confiance en la providence et en la chance car il n'y a pas de garantie dans cette méthode, surtout dans le cinéma indépendant... Pour atteindre cet objectif, il faut quasiment écrire le personnage sur ces visages, sur ces corps qui existent déjà. Pour Saimir, j'ai essayé de garder une idée très claire de ce que je recherchais afin d'aller vers les visages les plus justes. "
Le réalisateur revient sur le travail qu'il a effectué avec ces deux acteurs principaux, Xhevdet Ferri et Mishel Manoku : " Je ne sais pas si c'est dû au hasard ou à un miracle, mais les différences entre les deux se sont annulées. Il faut peut être dire aussi que j'ai choisi Xhevdet Ferri pour son visage et son expression naturelle. Je crois beaucoup à l'élément pictural au cinéma. Je pense qu'un visage dans un environnement, même sans dire un mot, devrait donner une impression précise, sinon ça veut dire que ce visage ne fonctionne pas. Déjà dans son regard, Xhevdet Ferri avait à la fois cette dureté et cette humanité que je cherchais. La première fois que je l'ai rencontré, je lui parlais du personnage, il m'écoutait et je voyais dans son visage le reflet de mes paroles.Une autre chose intéressante dans le travail avec des acteurs professionnels et non professionnels, c'est que grâce à ce mélange, des choses inattendues arrivent. Il y a une sorte de court-circuit. L'acteur professionnel peut être déconcerté face aux incertitudes de celui qui n'a pas de méthode. Cette situation peut aider l'acteur à se débarrasser d'un certain académisme.De l'autre côté, l'acteur non professionnel reçoit de son partenaire une sorte de discipline. Réciproquement, ils apprennent. "
Saimir, le personnage principal, évolue dans deux cercles distincts, celui des amis et celui de la famille. Francesco Munzi confirme : " Pour ce qui est du cercle des amis, j'avais envie de raconter la difficulté que ressent un gamin comme Saimir quand il cherche à "émerger", par exemple lorsqu'il rencontre Michela sur la plage. Il y a une envie évidente de se laisser aller à l'amour ainsi qu'un fort désir de mener une vie normale. Paradoxalement, dans la normalisation, un nouveau danger apparaît, celui du conformisme qui freine toute évolution. Ne parvenant pas à s'intégrer, Saimir prend conscience de son mal-être. La rencontre avec les gitans est une relation avec d'autres marginaux ; exprimant la difficulté à entretenir d'autres formes de rapports. L'autre cercle correspond à ma vision de l'institution familiale. La famille est certainement à la base de l'évolution de l'individu, mais elle ne doit pas être sa cage. Cela explique aussi la folie contenue dans la décision de Saimir de dénoncer son père. Ce geste douloureux et fou est pour moi plein d'espoir pour l'avenir de ce gamin. "
Le cinéaste a souhaité donner une image différente de la population gitane : " Durant mes fréquentations des camps de gitans à Rome, je sentais surtout un sentiment d'angoisse et d'impuissance, celle qu'on éprouve face à l'abandon d'une personne faible qui n'a pas la chance d'une revanche. Sur les visages des personnes que je rencontrais, il n'y avait pas la trace de cette gaieté et de cette dignité qu'on voit par exemple dans le cinéma de Kusturica. Au contraire, j'avais la sensation de la décadence, de la fin d'une culture écrasée par l'expansion de la ville, de la société de masse qui efface avec cynisme toute différence. Celle-ci enferme les nomades, désormais populations sédentaires, dans les lieux les moins visibles, sous les ponts, près des chemins de fer ou des décharges. Il n'y avait plus rien d'épique ou de mythique dans tout ça. Les danses, les chants, les femmes belles et un peu sorcières... Ces images qui nous viennent d'une certaine littérature me semblaient terriblement fausses. J'ai donc cherché à transmettre ce sentiment-là dans mon film. "
Souvent comparé à Pasolini et à Jean-Pierre et Luc Dardenne par la presse italienne, Francesco Munzi confie : " Pasolini m'a peut-être influencé de manière inconsciente mais durant le tournage de Saimir, je n'ai jamais pensé à son cinéma. Ce n'est qu'après que je me suis rendu compte que l'une des routes parcourues souvent par Saimir en scooter se situe à côté du lieu où Pasolini a été tué. Au contraire, par rapport aux frères Dardenne, j'avais peur de montrer des références trop évidentes à leur cinéma. J'ai mis du temps à me débarrasser de cette source et à avancer avec mon inspiration propre. Pasolini avait trouvé une façon éthique de raconter le monde. Je pense que pour raconter notre monde, il faudrait confronter nos idées avec ce qui se passe dans la réalité. Je n'ai pas d'idées préconçues, mais je les cherche sur le terrain. "
Le réalisateur parle du réalisme dans les films : " Je pense (...) que le documentaire devrait se servir de la fiction. Le réalisme naît juste d'un regard, d'une entente et de l'urgence de raconter une scène. Le réel n'existe pas. Il n'est que l'interprétation des choses. C'est peut-être pour cela que j'aime le cinéma de Scorsese, qui n'est certainement pas un cinéaste réaliste, mais peut-être hyperréaliste. Ses films sont pour moi une leçon de cinéma : sa mise en scène très construite (le cadre, les mouvements des acteurs, le temps) est d'une fluidité absolue. Ca m'épate et ça m'apprend toujours quelque chose de nouveau. "