La qualité principale de Reservoir Dogs, et peut-être sa seule véritable, tient à l’attachement que porte Quentin Tarantino à ses personnages, auxquels il offre des dialogues cinglants qui se percutent les uns aux autres comme les nombreuses détonations et fusillades qui scandent le long métrage. L’imbrication des temporalités, sous la forme de flashbacks, leur confère une densité intérieure en désaccord avec les vulgarités et les banalités qu’ils débitent à tout bout de champ, ce qui fait d’eux des êtres instables, destinés à s’entretuer. Notons que les acteurs qui les incarnent ont chacun une trogne et des mimiques susceptibles de les immortaliser, de les graver dans l’histoire du cinéma. Le choix du huis clos, percé d’ouvertures narratives orientées vers le passé, contribue à mettre l’acteur sur le devant de la scène, convié à purger ses passions – et le polar, par la même occasion – dans un théâtre cathartique. Pour autant, cette première réalisation de Tarantino pèche par orgueil : elle se complaît dans une violence autosuffisante et voulue divertissante, à l’image du policier torturé qui fit débat à la sortie, à juste titre ; elle allonge inutilement de nombreuses séquences sans que ce choix narratif et esthétique n’apporte quelque chose à l’intrigue. Nous sommes loin de la virtuosité d’un Inglourious Basterds qui, dix-sept ans plus tard, conférera à la gestion du temps long ses lettres de noblesse, lors d’une ouverture magistrale. La scène du restaurant atteste bien cet amour pour les acteurs et les bons mots, que le cinéaste hérite d’un pan du cinéma français à la Audiard, mais use et abuse des effets circulaires et du bavardage sans motivation diégétique. Dit autrement, Reservoir Dogs a toutes les qualités, mais aussi tous les défauts d’un premier film : absence de dosage, radicalité d’un geste tourné moins vers le cinéma que vers la prétention de le révolutionner. On ne pourra pas enlever à Tarantino son ambition, son efficacité lors des séquences d’action et son sens du cadre – ce qui donne lieu à un très beau travelling avant qui approche du visage de M. White pendant que celui-ci écoute son interlocuteur, muet et statique – ; il n’empêche que nous sommes loin, très loin du niveau et de la maîtrise détenus par ses œuvres à venir.