Joe Cabot et son fils « Eddie le gentil » prépare un coup en apparence anodin : le braquage d'un dépôt de diamant qui attend une grosse livraison de pierres. « Un coup de 5 minutes, mais 5 minutes compliquées », comme le dit Joe. Pour mener l'opération à bien, il embauche 6 hommes, 6 truands d'expérience qui ne se connaissent ni d’Ève, ni d'Adam, et qui vont ensemble plonger dans une odyssée sanglante.
Le scénario de Réservoir Dogs tient concrètement sur un post-it. Dans les mains d'un réalisateur lambda, il aurait abouti à un énième film d'action mettant en scène un braquage et des gangsters « qui en ont ». Or, dans les mains du jeune Quentin Tarantino, « Réservoir » constitue un travail d'orfèvre.
Tout d'abord, la structure du film est inédite : elle ne suit pas une trame temporelle régulière, mais est constituée d'un enchevêtrement de flashs-backs et de flash-forwards qui font avancer l'action de manière anarchique, mais ô combien astucieuse. De cette manière, Tarantino entretient le suspens, interrompt des situations à des moments périlleux pour mieux y revenir par la suite.
De la même façon, la présentation des 4 principaux protagonistes avant le braquage est bluffante d'originalité. Cette approche nous permet de nous familiariser avec les personnages, de comprendre leurs relations respectives avec le Boss et son fiston, et de comprendre pourquoi ils ont été impliqués dans le braquage.
Nous assistons dans Réservoir Dogs à l'avènement d'un style bien propre à Tarantino : celui des dialogues ciselés, qui traitent de sujets généralement banals et qui provoquent invariablement le rire du spectateur, voire son euphorie ! La scène d'introduction, au cours de laquelle les truands essaient de donner leurs explications personnelles au titre « like a virgin » de Madonna est hilarante, tout comme le débat sur la nécessité de donner un pourboire aux serveuses. De la même façon, « l initiation » de Mr Orange alias Tim Roth par son collègue de la police, et l'apprentissage de la fameuse blague qu'il doit dire lors de son « embauche » pour montrer qu'il est bien du milieu est tout simplement jouissive.
Le style verbal employé, jalonné de « fuck » et de « nigger » est là encore propre au réalisateur, tous comme ses innombrables clin d’œil à la culture pop américaine, au cinéma de série B, et à la musique, toutes périodes confondues, qui constitue là encore l'une des pierres angulaires du cinéma de Tarantino.
Le film se déroule sur le son de l'émission «K-Billy's Super Sounds of the Seventies ». Chaque scène, chaque situation, sont accompagnées d'un morceau musical choisi avec soin qui donne énormément de force aux images, et créé généralement un décalage entre la violence présente à l'écran et la relative gaieté de la musique. Cette sensation atteint son paroxysme avec la scène de la torture du policier par Mr Blonde (véritable sadique soit dit en passant).
Dans Réservoir Dogs, le propos est construit autour d'un braquage dont le spectateur ne voit pas une seule image. En effet, la caméra de Tarantino nous montre uniquement comment chaque protagoniste réagit face à l'arrivée des forces de l'ordre (ce qui occasionne quelques fusillades) et comment ils font face à l'échec de leur mission commune. L'essentiel du propos se déroule dans un hangar abandonné, la planque qu'ils devaient rallier après avoir réalisé leur méfait.
Le film est quasiment un huit-clos, une pièce de théâtre dans laquelle les acteurs laissent libre cours à leurs talents. Car il faut le dire, tous les interprètes sont brillants : Harvey Keitel (Mr White) fait honneur à sa réputation, lui qui à l'époque à déjà une immense carrière derrière lui. Il est pratiquement le héros de cette aventure sanglante. Michael Madsen (Mr Blonde) n'est pas en reste, et montre qu'en pleine possession de ses moyens, il est incontestablement l'un des acteurs les plus doués de sa génération. Quand à Steve Buscemi (Mr Pink), Tim Roth (Mr Orange) ou encore Eddie le gentil (Chris Penn), ils sont tout bonnement excellents.
Réservoir Dogs est le savant mélange de tous ces ingrédients qui permet à Quentin Tarantino d'atteindre un premier sommet, deux ans avant Pulp Fiction. C'est une première preuve du génie du réalisateur qui a écrit ce film en tant qu'employé d'un ciné club, et qui l'a financé avec la vente du scénario de True Romance (qui est lui aussi un véritable chef d’œuvre à ne pas manquer). Au vu du manque de moyen, le résultat final n'en est que plus saisissant : les plans sont maîtrisés à la perfection, le tempo monte crescendo, et la scène finale atteint des sommets de tension.
Violent, drôle, jouissif, parfois touchant, Réservoir Dogs est une preuve de l'amour que porte Quentin Tarantino au cinéma. Ce film est intemporel, ce qui constitue la marque des plus grands.