En 1992, le paysage cinématographique américain s’élargit de par l’opportunité de contempler la naissance d’un cinéaste majeur des années qui suivront, Quentin Tarantino. C’est donc avec ce curieux mais jouissif Reservoir Dogs que le célèbre cinéaste entame sa carrière, réinvention pop et cynique du film noir. Dans la forme comme sur le fond, son film révolutionne le train-train académique hollywoodien en la matière, propulsant une troupe d’acteurs improbables dans la peau de gangsters/braqueurs dans de sales draps. Le cinéaste débute, certes, mais d’emblée marque de son empreinte le genre, offrant alors aux plus timides l’opportunité de découvrir le cinéma autrement, le cinéma violent, populaire et finalement trépidant qu’il manquait en son temps. Indéfinissable en rapport à ces confrères, optant parfois voire souvent pour le farfelu, faisant montre d’une certaine aisance dans le traitement du sadisme ou de la violence primaire, opérant tel le plus indépendant des artisans du cinéma, Quentin Tarantino est dès lors dans la place.
A l’instar des réalisations des frères Coen, Tarantino s’appuie sur les dialogues, les répliques fusantes, jouissives et une mise en scène originale, appliquée de manière à ne pas se fondre dans les techniques les plus usuelles. Le réalisateur, s’appuyant pourtant sur un budget moindre, premier essai oblige, parvient tout de même à multiplier les personnages, à faire d’un huis-clos un film sans frontières, à ne pas s’imposer de limites, qu’elles soient créatives ou morales. Oui, Reservoir Dogs marque réellement les prémices de ce cinéma décalé, composé de longue séquence de papotage anodin, de séquences sanglantes qui tournent à la dérision de par le talent de comédiens pleinement libres de leurs mouvements. La performance impayable de Michael Madsen en est ici la parfaite illustration. Jusqu’alors discret, voire inconnu des foules, le comédien débarque ici, comme les autres, pour finalement exploser durant une séquence d’une violence inouïe mais aussi d’un amusement certain. Tarantino ne se refuse rien, se permettant de filmer un massacre moral et physique, s’appuyant sur chacun de ses acteurs pour qu’ils livrent des prestations qu’ils n’ont jamais tentées.
Harvey Keitel, qui prend la place du rôle principal, du moins en apparence, brille lui aussi de mille feux, partageant la vedette avec rien de moins, justement, que Michael Madsen, Steve Buscemi, Tim Roth ou encore Chris Penn, chacun ayant foncièrement le gueule de l’emploi et le charisme nécessaire au bon fonctionnement du drôle de pari du cinéaste. Chacun y va de ses manigances, de ces souffrances, mais tous ne sont finalement que les pions d’un jeu pervers initié par le réalisateur et scénariste qu’est le brave Quentin, un homme sachant au surplus s’entourer d’acteurs magistraux.
Tout, finalement, dans Reservoir Dogs, préfigure de la réussite prochaine du metteur en scène, des chefs d’œuvres que seront Pulp Fiction ou encore Jackie Brown à ses plus récents Inglourious Bastards ou Django Unchained. Le film, plus court que les suivants, plus léger, n’est reste pas moins le maillon premier dans la carrière du réalisateur, une puissante démonstration de culot, d’originalité, une très belle leçon de créativité, et au demeurant, une fraîche vision cynique d’une humanité que nous aimons, en secret, voire de déchirer. Un classique. 17/20