Les films de Werner Schroeter ont de particulier qu’ils s’entêtent joyeusement à résister au tissage d’un fil narratif unique. «Malina» (France, 1990) s’entend et se ressent sous plusieurs angles. Portrait d’une femme, fille de nazie devenue philosophe du langage ; Vue d’une Europe en brasier, gangrénée par le souvenir de la seconde guerre mondiale ; Délire d’auteur sur des motifs épars, «Malina» n’épuise pas son mystère et son sens en une seule vision. Et en cela, en cela seulement, Schroeter réalise un film salutaire, précieux au milieu de toute une production cinématographique qui, voulant nous «raconter des histoires», finit par «se la raconter». Les balourds auront tôt fait de s’épuiser devant la théâtralité revendiquée de la mise en scène. «Et tant pis pour les gens fatigués» dirait Rancière. «Tous les films sont sur le théâtre, il n’y a pas d’autre sujet.» déclarait aussi Rivette en pensant une archéologie du cinéma. «Malina», dans son patchwork de situation, postule toujours sa mise en scène sur l’esthétique du théâtre. Quant au cinéma, il n’est pas une simple plus-value ou un faire valoir, il est l’ultime condition qui, par ses faculté, permet au personnage de Malina de révéler sa psychologie dans toutes ses ambivalences. Sans la faculté des ellipses, et des sautes temporelles qu’elles entreprennent dans le récit, Malina serait plate, une névrosée de plus dans le paysage du cinéma. Grâce à l’esthétique composite de Schroeter, Isabelle Huppert réussit d’autant mieux à révéler l’explosion intérieure de son personnage. Son déséquilibre mental et l’accommodement de sa diction conjugués avec le rythme frénétique du montage produisent l’effet d’une symphonie allegro et rhapsodique. Faut-il une « bonne chance ! » pour aimer «Malina» ? Il ne faut pas même du bon goût (le film, par trop de plastique, souffre parfois d’un manque d’identité iconique). Il faut surtout un épanchement immodéré pour la subversion.