« Ossessione » est la première réalisation de Luchino Visconti qui depuis 1936 alors qu’il résidait à Paris était l’assistant-réalisateur de Jean Renoir (« Une partie de campagne » et « Les bas-fonds »). C’est justement Jean Renoir qui remet à Visconti une traduction française du roman de James Cain, « Le facteur sonne toujours deux fois », déjà adapté par Pierre Chenal en 1939. N’étant pas détenteur des droits, Visconti qui ne peut utiliser le titre du roman en profite pour prendre de grandes libertés avec l’œuvre initiale. Pour beaucoup, son film considéré comme un chef d’œuvre, est à l’origine du néo-réalisme italien qui prend son essor international avec la Palme d’or reçue à Cannes en 1946 par « Rome ville ouverte » de Roberto Rossellini qui a joui durant toute sa carrière du qualificatif, peut-être usurpé, de créateur du mouvement. Il faut dire que la suite très brillante de la carrière de Visconti l’a vu tourner son regard vers d’autres directions sans doute plus en rapport avec ses origines et sa sensibilité. Tout au long de ce premier film, on sent le jeune réalisateur très influencé par ce qu’il a vu lors de son séjour en France, notamment les films de Renoir mais aussi ceux que Marcel Carné, Julien Duvivier ou Jean Grémillon ont tourné avec Jean Gabin. Il se sert donc du fond de l’intrigue concoctée par James Cain pour faire son « Jour se lève », son « Pépé le Moko » ou encore son « Gueule d’amour ». Influences que l’on peut comprendre vu l’importance de cette période du cinéma français, mais le spectateur n’y trouvera peut-être pas complétement son compte. L’aspect social est certes présent, Visconti rendant doctement compte de la misère qui frappe l’Italie fasciste alors en guerre dans le camp de l’Allemagne rejoint par Mussolini, mais c’est surtout la relation complexe entre les deux amants qui est au cœur de son propos. Le titre italien, « Ossessione », est à ce propos parfaitement explicite qui traduit l’intensité sexuelle qui presque instantanément unit les corps enflammés des deux amants, Gino (Massimo Girotti) et Giovanna (Clara Calamai). Une intensité poussant rapidement à un crime sur lequel Visconti ne s‘appesantit pas, ne voulant sans doute pas en souligner le côté sordide. Le vagabond, sans aucun doute le plus faible des deux, va vite développer une culpabilité envahissante qui ne le lâchera plus. Dès lors les rencontres entre les deux amants criminels seront comme les lourds pavés d’un chemin de croix qui mènera à l’issue tragique inéluctable. La dimension psychologique au centre du film est donc parfaitement rendue par le jeune réalisateur. Mais l’ensemble est un peu gâché par la longueur exagérée du film (140 mn) qui tient à une digression que l’on pourra juger superflue (n’apportant aucune plus-value à l’intrigue), liée à l’épisode introduisant le personnage de l’Espagnol (Elio Marcuzzo) qui profitant du profond désarroi de Gino, lui laisse entrevoir une issue possible qui pourrait prendre le visage d’une initiation à une nouvelle sexualité. Ce tropisme qui marquera l’œuvre de Visconti, lui-même homosexuel, sera beaucoup mieux inséré au récit dans des films comme « Le Guépard » (1962), « Les damnés » (1968) ou bien sûr dans le sublime « Mort à Venise » (1971). Certes magnifiquement mis en image (la première rencontre entre Gino et Giovanna), le film est en partie gâché par sa longueur découlant d’une certaine maladresse narrative qui pouvait facilement être évitée. Pour cette raison, « Ossession » ne mérite sans doute pas le qualificatif de chef d’œuvre absolu qui lui est parfois attribué. C’est n'est que lorsque l’œuvre de Visconti prendra pleinement sa dimension épique et historique qu’elle atteindra son sommet .