J'ai deux passions, le cinéma et le football : deux raisons pour adorer ce film qui montre -entre autre- à la fois l'universalité du soccer et celle du cinéma, après le déliceux conte tibétain "La Coupe", qui racontait les difficultés rencontrées par des moines bouddhistes réfugiés dans le nord de l'Inde pour regarder le France-Brésil du 12 juillet 1998.
Jafar Panahi a décidé de tourner le film comme un documentaire, quasiment en temps réel, et en utilisant de nombreux plans tournés lors de ce match. Afin d'accentuer le côté cinéma vérité, il a fait appel à des comédiens amateurs, ce qui se sent parfois un peu trop. Ainsi, nous suivons les tribulations de deux cars de supporteurs, avec dans l'un d'eux une jeune fille en jogging, casquette et maquillage aux couleurs nationales. Dès cet instant, des hommes la reconnaissent, mais aucun ne s'en offusque, sauf un vendeur de billets à la sauvette qui passera outre ses scrupules pour lui vendre le précieux sésame deux fois plus cher...
Quand elle est arrêtée, elle retrouvent quatre autres filles avec chacune des caractères particuliers. Elles sont gardées non pas par des policiers ou des pasdarans, mais par des appelés qui viennent de la campagne. Panahi joue d'ailleurs de cette opposition, montrant que le décalage n'est pas essentiellement entre hommes et femmes, mais aussi entre Téhéranaises et provinciaux, et plus encore entre deux classes, les jeunes femmes étant à la fois cultivées et aisées, comme le montre le prix qu'elles peuvent payer et leurs téléphones portables (en ce moment, il n'est pas un film que je vois, de quelque continent qu'il soit, où le téléphone mobile n'apporte des rebondissements narratifs...).
Les filles ont la langue bien pendue, et une dialectique redoutable : elles retournent sans effort le cerveau de leurs pauvres geoliers. Il faut dire que les contradictions ne manquent pas dans la théorie officielle, et l'échange entre une détenue et le sergent est assez jubilatoire, quand en réponse à son argument justifiant cette interdiction par la nécessité de protéger les femmes des grossièretés proférées par les hommes, elles lui rétorquent que si les Japonaises ont le droit d'assister au match Japon-Iran, c'est parce qu'elles ne comprennent pas les injures iraniennes ! Et les soldats eux-mêmes ne savent comment justifier le fait que les supportrices bahreïnis aient été autorisées à assister au match, certes cachées dans des tribunes vitrées.
Jafar Panahi a choisi le canal de la parabole : en nous racontant cette histoire, il parle aussi de bien d'autres choses concernant la place des femmes dans une société basée sur l'empêchement, et la fragilité de l'idéologie dominante. C'est pourquoi il adopte un ton souvent humoristique, comme quand un soldat accompagne une des filles aux toilettes, la camouflant derrière un masque confectionné à la va-vite avec un poster d'Ali Karimi.
Et puis, ce qui rend ce film aussi attachant, c'est que ces filles sont des vraies supportrices, avec leur mauvaise foi, leurs jugements à l'emporte-pièce dès que la défense cafouille, leurs débats tactiques sur le 4-4-2 ou le 4-3-3. Et leur explosion de joie au moment du but et à l'annonce de la fin du match synonyme de qualification fait écho à notre propre bonheur certains soirs de 1998 ou de 2006...
Il y a aussi, furtivement, quelques moments plus graves : quand une des filles se couvre de son tchador pour s'adresser au père de sa copine, ou quand dans la liesse, une autre pleure en pensant à son ami tué dans un mouvement de foule lors du match Iran-Japon. Mais Panahi ne s'appesantit pas sur ces moments, préférant vite retourner à la légèreté propre au conte, jusqu'au dénouement heureux et consensuel. Reste maintenant à souhaiter que les Iraniens puissent voir ce film toujours interdit par le régime.
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