Deux hommes, incarnant la «raison» et le «scepticisme», l'un physicien et l'autre écrivain, accompagnent dans la «zone» un troisième, leur guide, le stalker, homme simple qui incarne une foi et une espérance «irrationnelles». Dans cette «zone» interdite, sorte de réserve surnaturelle sévèrement gardée, les lois du monde sont abolies et une chambre se cache où les voeux des hommes sont supposés se réaliser. Vaste métaphore de la foi et de l'espérance en un monde racheté, transfiguré et rendu à son intégrité originelle, «Stalker» de Tarkovski est profondément imprégné d'un mysticisme orthodoxe acosmique qui oppose diamétralement la raison et la foi, mais aussi la matière et l'esprit, le réel et le surréel. Plus qu'à un visionnage, le réalisateur russe nous convie en réalité à une expérience personnelle, à une sorte de voyage initiatique avec sa caméra contemplative pour guide. Par le procédé de la caméra subjective, il implique d'ailleurs continuellement le spectateur dans les pérégrinations des trois personnages. Usant avec une habilité confondante des procédés du film fantastique, il arrive jusqu'au bout à convaincre du caractère surnaturel de la «zone», pour délivrer finalement son message d'espoir, mais aussi pour constater avec amertume, en la personne du stalker, l'endurcissement du coeur humain. Tarkovski nous fait ici le don d'un poème cinématographique d'une beauté confondante. La lenteur majestueuse du voyage qui conduit de l'ombre à la lumière, l'usage très subtil des couleurs, le symbolisme des éléments, ici principalement celui de l'eau, la splendeur indicible des images, tout concourt à mener le spectateur dans un état de profond émerveillement qui continue de le hanter longtemps par la suite. «Stalker» est un chef-d'oeuvre absolu, à mon sens l'un des vingt plus grands de l'histoire du cinéma.