Un authentique chef d’œuvre classique qui constitue d’abord un regard très critique sur la société féodale Japonaise, construite sur la prédominance de l’argent, la domination du pouvoir régalien, et l’inégalité hommes-femmes. Dans ce monde démystifié, plein d’intolérance et d’hypocrisie, Mizoguchi raconte une histoire complexe, qui met principalement en scène quatre personnages dont les rapports le sont tout autant, et qui se révèlent progressivement. La situation peu à peu révélée fait penser à Racine ; en paraphrasant l’argument de « Andromaque », cela donne ici : « O-Tama aime Mohei, qui aime O-San, qui est dévouée à son mari Ishun, qui aime O-Tama ».
L’histoire, très élaborée, consiste, dans sa première partie, en un enchaînement de décisions, d’actes et de situations qui ne se déroulent jamais comme prévu. Ainsi, paradoxalement, les nobles sentiments des trois personnages positifs, par le jeu de hasards, d’incompréhensions, de malentendus et de circonstances malheureuses, la font évoluer en tragédie.
Le caractère tragique du film est principalement produit par les déchirements constants que vivent les personnages. Déchirements entre d’une part le « devoir », inspiré par la conscience ou imposé par la loi ou les convenances, et d’autre part les sentiments profonds et intimes. Déchirements entre le devoir et l’amour, qu’il soit de nature amoureuse (Mohei vis-à-vis de O-San et réciproquement) ou de nature filiale (le père de Mohei, la mère de O-San).
Au service de cette tragédie, la mise en scène de Mizoguchi est exemplaire, à la fois élégante, efficace et pudique. La construction du film est remarquable, les scènes s’enchainent parfaitement, chacune durant ce qu’elle doit durer, pas une seconde manquante, pas une seconde de trop. Et les images atteignent dans la seconde partie du film une beauté poétique presque magique.
Dans la merveilleuse scène sur le lac Biwa, la tragédie s’élève et bascule. Vers la puissance et la supériorité spirituelle de l’amour, qui culminent lors de la dernière scène, probablement l’une des plus belles de l’histoire du cinéma.