Lors des 10 dernières années de sa vie, Mizoguchi a atteint un niveau de maîtrise qu'aucun autre réalisateur n'a jamais atteint, tournant ainsi une vingtaine de films, variés aussi bien au niveau des thèmes que du style de mise en scène, qui sont presque autant de chefs d'oeuvre. Les amants sacrifiés en fait parti, et si je lui préfère personnellement La rue de la honte, il est sans doute le film qui représente au mieux la classe du réalisateur japonais. Mizoguchi adopte ici un clacissisme auquel il ne nous avait guère habitués jusque là. En terme de mise en scène, tout ce en quoi Mizoguchi excellent tant est présent. La meilleure photographie noir et blanc du cinéma, un travail d'extraterrestre sur la lumière, ces fameux plans séquences fixes avec une occupation de l'espace surnaturelle, dans lesquels Mizoguchi construit ses plans comme des tableaux, avec en particulier un immense travail sur les points de fuite (la scène de nuit sur le lac se grave littéralement dans nos mémoires)... La construction scénaristique, autre point sur lequel le maître n'a pas d'égal, est à son summum. L'enchaînement des évènements/quiproquos qui amènent à la fuite, à la manière d'un thriller, est bluffant de crédibilité et de fluidité. Et bien sûr, le propos est glaçant de modernité, de pertinence et d'intelligence. Ici, ce n'est pas l'amour passionné et tabou (à la Roméo et Juliette) qui provoque la fuite, mais l'inverse. Il s'agit avant tout d'une leçon impitoyable d'humilité qui brise le mythe de l'amour absolu, les deux protagonistes étant victimes d'une société qu'ils acceptaient lorsqu'ils en étaient plutôt bénéficiaires. L'évolution de leur relation est remarquable, comme le suivi de chaque personnage, qui tente d'agir au mieux pour s'en sortir, avec à la clé des dialogues étourdissants. Le message final, qui est qu'on échappe aux contraites sociales et traditionnelles uniquement dans la mort, est TRES fort! Une leçon de cinéma, des thèmes universels et intemporels...