« An American in Paris » est à la fois l’aboutissement du rêve d’un producteur et de l’entente fusionelle avec son réalisateur. Pendant des annèes Arthur Freed, parolier aussi fameux que réputé, et grand producteur des musicals de la MGM, révait de réunir la musique de Gershwin avec la peinture impresioniste. Il se trouve que son réalisateur favori, Vincente Minnelli, qui fut dessinateur, puis décorateur de théâtre, adore cette peinture (dont des tableaux se retouvent dans plusieurs films comme par exemple le Renoir de l’appartement de Fred Astaire dans « Tous en scène ») et la musqiue jazzy en général et Gershwin en particulier. Après trois années de réflexion et de discussions, et l’aide d’Ira Gershwin qui écrivit les paroles pour la musique additionnelle composée par Conrad Salinger (orchestration, excusez du peu, de Benny Carter, non crédité, qui joue aussi au saxophone), ils décident de réaliser un film qui prend le titre du poème symphonique de Gershwin qui cloture le film sous forme de ballet. Se passant à Paris, Freed et Minnelli portèrent leur regard vers Gene Kelly. Ce dernier, comme le réalisateur, est un amoureux de la capiale française et connaît bien la ville, y ayant vécu et parlant convenablement la langue. Il sera aussi le chorégraphe de talent (peut être le meilleur) permettant à Minnelli toutes les audaces de mise en scène à partir de décors que le cinéaste avait méticuleusement décrits. Quelques plans généraux et le Ritz Place Vendôme seront les seuls tournés sur place, tout le reste est reconstitué dans 44 décors différents, pour lesquels Cedric Gibbons, Preston Ames, Edwin B. Willis et Keogh Gleason reçurent un Oscar. Le réalisteur filma ainsi comme il l’entendait. D’entrée la mise en place montre la vie misérieuse des artistes en devenir, l’un peintre, l’autre musicien, tentant de transcender leur réalité difficile en accédant à leur rêve de reconnaissance, cristalisé dans la formidable séquence onirique d’Adan Cook (Oscar Levant) interprétant et dirigeant le concerto en fa pour piano de Gershwin. La vie de quartier donne le ton avec ses enfants dans les rues, le couple de cafetiers, protecteurs familiaux et bon enfant, le café au lait et les viennoiseries, respirent la grâce par leur élégance certaine. Tout en passant par des séquences d’une d’audace incroyable pour l’époque, comme la présentation de Lise Bouvier (Leslie Caron), réalisée par Gene Kelly, avec la suggestive scène de la chaise qui faillit être censurée, ou encore la fête finale en forme d’orgie décadante qui inspira sans doute Frederica Fellini, mais plus surement Bob Fosse. C’est dans une ville de carte postale que le drame s’envole en une apothèose visuelle et chorégraphique sans précédent. Les fantasmes du rêve inaccessible de Jerry déchiré par le départ de sa bien aîmée se présentent sous la forme d’un ballet de dix huit minutes qui couta un demi million de dollars. Sans dialogues ni chansons, s’y étale une succession de plans hommages aux illustres peintres français. De Raoul Dufy (place de la concorde), puis Jean Renoir (le marché au fleurs), le Douanier Rousseu (le pont et le jardin des plantes), et l’animation de l’affiche du Moulin Rouge de Toulouse Lautrec, qui complètent ceux répartis répartis précédemment dans le film, Utrillo, Manet et l’opéra de Van Gogh. Reposant sur un argument digne d’un roman photo (un jeune peintre tombe amoureuse d’une toute jeune fille de 19 ans qui va épouser un chanteur célèbre de vingt ans son ainé) Minelli livre pourtant un film d’une richesse inouïe, preuve de l’immense talent de ce cinéaste d’exception. Malheureusement le casting est quelque peu bancal. Si Gene Kelly, Oscar Levant et Nina Foch sont parfaits (sans oublier les trucculents rôles secondaires), Leslie Caron, malgré son charme juvénile (elle a l’âge du rôle) et sa gaucherie émouvante ne peut se mesurer à Cyd Charisse (qui enceinte, refusa le rôle) dont elle n’a ni l’élégance, ni le talent, ni le charme et encore moins la beauté. Arthur Freed et Gene Kelly (il l’avait découverte lors d’une représenation des ballets Roland Petit, un an auparavant), pensaient qu’une française devait tenir le rôle. De même, George Guétary, trop jeune (il a deux ans de moins que Gene Kelly) n’est pas un danseur et manque du punch qu’aurait apporté Maurice Chevalier, initialement prévu pour le rôle. Mais son passé de collaborateur (pourtant innocenté) pendant la deuxième guerre mondiale se heurta à un refus catégorique des patrons de la MGM et de Vincente Minnelli. Ce déséquilibre empêche le film, malgré toutes ses qualités, d’atteindre pleinement le rang de chef d’œuvre. « Un américian à Paris » remporta six oscars (dont celui du meilleur film) et reste, avec « Chantons sous la pluie » et « West Side Story » l’une des comédies musicales les plus célèbres de l’histoire.