Après s’être financièrement ramassée avec des œuvres à gros budgets, Dore Shary décida de réduire la voilure en faisant confiance à des jeunes réalisateurs ambitieux, mais prêts à travailler avec des budgets de série B. Shary propose de porter à l’écran le roman d’Edward Anderson « Thieves Like Us » à John Houseman. Ce dernier impose son ami Nicholas Ray comme réalisateur car le récit tragique de deux adolescents renferme les thèmes chers au cinéaste : la violence de la société qui détruit l’adolescence dont l’amour est la recherche d’un illusoire paradis, implacablement perdu. « They Live by Night » (Les amants de la nuit) renferme tout Nicholas Ray. Dès les premiers plans, la réalité brutale vient coupé le rêve amoureux paradisiaques des deux amants. La couleur sombre affichée d’entrée, et le prologue d’une tragédie inévitable (systématique chez Ray), offre l’un des grands paradoxes présent film après film. Dès le début le spectateur se doute de la fin, mais espère qu’un événement, aussi fortuit qu’heureux, surgira. Car construit comme une tragédie grecque, l’espoir est entretenu par la venue d’un Deus ex machina. En vain. Grâce à une direction d’acteur déjà exceptionnelle. Cathy O’Donnell dont c’est le premier grand rôle au cinéma, interprète une adolescente androgyne qui par amour devient une jeune femme splendide, uniquement grâce à son interprétation, sans utilisation d’artifices fétichistes (ni talons aiguilles, jupe serrée ou maquillage surchargé), mais avec grâce, pudeur et frémissements. Elle forme un couple empathique avec Farley Granger qui offre une prestation intériorisée et nuancée. Ils sont traqués par deux adultes inhumains, attirés par l’appât du gain uniquement. Howard Da Silva joue la brute surexcitée et son glacial partenaire, encore plus inquiétant, est interprété par Jay C. Flippen. Les deux sont parfaits. En ajoutant des cadrages propres à ce que sera le style de Ray : inventivité pour sortir du cadre et précision pour y arriver sans perte de lisibilité, une photographie de qualité de George E. Diskant (dommage que ce ne fut pas John Alton) et un choix musical pertinent (comprenant un beau et synbolique numéro de Marie Bryant), le jeune cinéaste dès son premier film livre une copie de maître, belle à hurler.