Le film Merci la vie est sorti en 1991. Au départ l'idée de Bertrand Blier qui a écrit et réalisé le film, était de faire un remake des Valseuses (1974), mais avec des filles au lieu des deux garçons, Gérard Depardieu et Patrick Dewaere. Ce seront Charlotte Gainsbourg et Anouk Grinberg.
Le film est transposé sur plusieurs plans parallèles, plusieurs époques, avec des acteurs qui jouent le même personnage à des âges différents. Par exemple Michel Blanc et Jean Carmet jouent le père de Camille (Charlotte), Blanc au moment de sa conception, alors que Camille est par ailleurs présente à l'écran à son âge de jeune femme et parle à son père, Carmet quand Camille l'appelle au secours et qu'il vient la chercher, en vieux père inquiet.
Il y a par ailleurs quelques scènes surréalistes. L'une des plus frappantes est celle dite du bandage, où un œil arraché circule de personnages en personnages. Bertrand Blier dit que cette scène provient d'un rêve qu'il faisait enfant. Il le fait raconter par Charlotte Gainsbourg avant de le mettre en scène.
Au fond ce que fait circuler le réalisateur, ce sont des images, capturées par l'oeil de la caméra, un œil amovible qui circule à toute vitesse. Un œil devenu « commun », voire planétaire. Blier essaye de lier l'histoire de l'oeil avec la circulation de la maladie du sida (on est alors dans les années 80). Mais il fait une autre liaison avec la culture nazie de la mort, de la torture et du mépris pour les races jugées inférieures (années 40).
Est-ce une métaphore du réalisateur qui devient fou en voulant prendre la place du regard absolu ? On voit dans le film pas mal de corps nus malmenés, les jeunes filles, surtout Joëlle (Anouk Grinberg), se prennent des volées et sont insultées. C'est d'ailleurs la scène d'entrée du film qui donne le ton. Anouk/Joëlle est tabassée par un type et laissée gisante sur le macadam d'une route. On comprend que le type n'a pas supporté qu'elle s'amuse à porter une robe de mariée, ce qui pour lui doit représenter une sorte d'abomination.
Outre la violence, le sexe, la conception, la maladie, la vieillesse, tous ces thèmes sont présents pour exprimer l'essence de la vie, son parfum amer et sucré en même temps. On ressort du film avec une grande force dans le ventre. Blier a eu de l'audace ici pour inventer, tourner différemment et finalement exprimer quelque chose d'inouï et très personnel.
La réunion de grands acteurs au cours de mêmes scènes, Trintignant, Depardieu, Carmet, Blanc, et actrices, Annie Girardot, Catherine Jacob, le dédoublement des personnages et des époques, contribue à donner au film une atmosphère étrange. C'est une fiction qui se montre comme telle, avec toutes ses ficelles mises à jour. Les personnages sont autant les acteurs, le réalisateur et le producteur sont également présents dans certaines scènes.
On retrouve l'idée de la distanciation brechtienne, mais aussi le passage d'une construction littéraire des métaphores, à une construction cinématographique. Il y a de la muse dans l'air, de la poésie. Et c'est aussi un cri d'amour. La violence est dans ce cri.