Avec de nombreux prix, des nominations restées au stade des nominations, un accueil chaleureux de la presse, le grand gagnant de la cérémonie des Césars de 2008 s’avérait être un spectacle intéressant. Intéressant, ça l’est mais je ne saurai être aussi enchanté que l'ensemble de la presse. Abdellatif Kechiche a signé une réalisation qu’il a voulue intimiste pour nous faire partager l’histoire d’un sexagénaire fatigué se raccrochant à ce qu’il peut après un divorce et un licenciement synonyme de précarité et annonciateur de fin. Le réalisateur a réussi à créer cette intimité, tant et si bien que nous avons presque l’impression de participer en temps réel au couscous dominical pour lequel il ne nous manque plus que les odeurs des plats fumants, avant de suivre le difficile montage d’un projet ambitieux. Et quand je dis ambitieux, c’est par rapport aux moyens disponibles. Seulement il y a tant de monde autour de la table lors du repas familial, que les conversations fusent de tous les coins et on a un peu de mal à discerner l’une ou l’autre, sans compter que la scène a presque lieu en temps réel. On a alors l’impression de faire du sur place, et c’est ce qui caractérise les 30/45 premières minutes de ce film. L’ennui s’installe, mais c’est là qu’intervient une scène intéressante, dont on n’a que faire sur l’instant, mais qui a son importance pour la suite, car elle a le mérite de déterminer la psychologie du personnage qu’est Majid (Sami Zitouni), et qui mériterait des baffes pour bien des raisons. On notera l’excellente prestation de Hafsia Herzi, aux multiples talents : vraiment douée sur le plan dramatique (je suis toujours admiratif de voir des comédiens parvenir à verser des larmes), elle est en même temps un rayon de soleil pour le personnage central, et nous gratifie même de danses orientales, sans qu’elle soit parfaite physiquement parlant. A noter également la performance d’Alice Houri qui, par l’intermédiaire de son rôle Julia, amènera la scène la plus forte émotionnellement, qui n’est rien d’autre qu’un élément supplémentaire à la longue litanie finale que va vivre Slimane Beiji, un final auquel le spectateur assiste sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Sur un titre qui fait penser à une fable de La Fontaine, la réalisation est bonne, et la mise en scène amène une photographie intéressante, notamment avec ce contraste amené par cette vieille et infatigable mobylette à la peinture bleu fané qui se promène sans faiblir en ce début de 21ème siècle. Cependant, le réalisateur n’a pas su éviter les clichés, comme le fait que les maghrébins roulent en Peugeot, ou certaines expressions et intonations qu’on prête volontiers aux gens de cette communauté. Et puis surtout, c’est beaucoup trop long ! si long que j’ai lâché l’affaire au bout de 32 minutes, pour la reprendre dès le lendemain en invétéré curieux, fort de mon expérience en matière de films qui prennent tout leur sens à la fin. Cela dit, "La Graine et le mulet" est un film atypique, car il ressemble davantage à un reportage plus qu’autre chose, dans lequel on a laissé libre cours aux participants, en filmant la détresse, la solitude, la solidarité, la joie, l’hypocrisie, mais aussi l’échec, l’honneur, l’espoir et l’accomplissement. Tous les ingrédients qu’on retrouve dans les fables de La Fontaine. Je finirai cette critique par le titre, que je trouve bien trouvé. Car au final, le film pourrait se résumer à une histoire d’un homme têtu comme un mulet dont le destin finit de basculer sur une simple histoire de graines. Le spectateur peut être agacé par un début poussif, par des scènes beaucoup trop longues, visant à développer la psychologie des personnages, d’autant plus que la B.O. est pour ainsi dire aux abonnées absentes la plupart du temps. Malgré ces écueils, "La graine et le mulet" réussit à aiguillonner peu à peu notre intérêt, jusqu’à nous faire compatir du sort de Slimane Beiji. Au final, on ressort plutôt content d’avoir vu ce film, ne laissant pas le spectateur tout à fait indifférent. Mais après ? Que reste-t-il ? Certes on y repense, mais on n’a pas forcément envie de revoir ce film, et on est loin de garder un souvenir impérissable de cette aventure humaine. Si des fois je ne pige pas certaines notations quant à certaines œuvres cinématographiques, en tenant compte de tout ce que je viens de dire, je comprends aisément qu’on puisse donner à ce film toutes les notes possibles et imaginables, de 0,5 à 5 sur 5. Moi-même, j’ai eu beaucoup de mal à me décider entre les notes allant de 2 à 3,5.