Née en Lituanie, Alanté Kavaïté déménage en France pour poursuivre ses études d'Arts Plastiques, avant de suivre les cours de l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts à Paris où se révèle sa passion pour la vidéo et la photo. Ce qui la passionne, c'est la question de l'espace au cinéma : "J'ai longtemps cherché mon chemin jusqu'à ce que la mise en scène de cinéma devienne une évidence... C'est un travail très complet qui réunit tout ce qui m'intéresse depuis toujours : l'écriture, la direction d'acteurs, l'utilisation de l'espace, l'image, le son, la musique (...) J'ai réalisé que toutes mes envies, depuis quelques années, convergeaient effectivement vers l'expression cinématographique." Après avoir assuré le montage de plusieurs documentaires, elle co-réalise en 2001, avec Daniel Leconte , un documentaire diffusé sur Arte : Boris Eltsine, l'enfance d'un chef. En 2002, elle réalise son premier court-métrage, La Carpe, sélectionné dans de nombreux festivals et diffusé sur Cinécinéma. Ecoute le temps est son premier long métrage de fiction.
La réalisatrice Alanté Kavaïté explique son choix pour son premier long métrage : "Je suis partie d'une envie de faire un film autour du deuil, un sujet peu traité, pourtant universel, et qui me semble particulièrement important. J'ai choisi de m'arrêter sur une jeune femme qui perd sa mère et qui, en essayant de dépasser sa douleur, se découvre et se construit. Je voulais partir d'un élément négatif, d'un drame, pour aller vers une ouverture plus lumineuse, je voulais que cette tragédie rende mon personnage plus fort. Ma propre histoire est très différente de celle de Charlotte, j'étais très proche de ma mère et je l'ai perdue trop jeune. Cette blessure est probablement à l'origine du choix du thème de départ, mais j'ai choisi de construire une histoire à l'opposé de la mienne. Celle d'une jeune femme qui est passée à côté de sa mère. J'ai ainsi travaillé sur la notion de culpabilité. C'est en partie parce qu'elle se sent coupable que Charlotte agit et accepte d'affronter le passé."
Très tôt pendant la phase d'écriture, la réalisatrice a pensé à faire appel à la talentueuse Emilie Dequenne. "Elle fait vraiment partie de ces acteurs chez qui je n'ai jamais entendu une seule fausse note. J'ai suivi son travail dès ses débuts, je l'ai vue forte, fragile, battante ou désespérée... Elle ne joue pas, elle vit." Alanté Kavaïté confesse qu'elle a fini de rédiger le scénario avec la photo de l'actrice épinglée au-dessus de son ordinateur...
Emilie Dequenne raconte avoir été littéralement happée par le scénario du film et a pris son rôle à bras-le-corps : "[Charlotte] m'a appris à m'isoler, à avoir besoin d'être seule. J'ai l'impression que je sais beaucoup plus qu'avant qui je suis et ce que je désire, ce qui n'était pas le cas avant ce tournage. J'adore aborder un rôle de cette façon, il est primordial pour moi qu'il y ait un échange, j'ai besoin de me nourrir, de puiser dans les personnages que je rencontre." Mais comment sort-on d'un tel personnage? Peut-être qu'on ne s'en débarrasse jamais vraiment : "Charlotte est (...) restée en moi, profondément, j'y repense encore souvent, ce fut une formidable rencontre, même si cela peut sembler légèrement schizophrène."
Le choix de la réalisatrice pour interpréter la mère de Charlotte s'est porté assez tardivement sur Ludmila Mikaël. C'est en voyant une photo que Alanté Kavaïté découvre le "côté lumineux" et la "grande générosité" de l'actrice. La rencontre des deux femmes scelle le choix de Kavaïté, enthousiasmée par sa "voix rassurante" qui colle parfaitement au personnage.
La voix des acteurs a été un élément décisif dans le choix du casting. Tous les comédiens ont des timbres de voix très particuliers, condition sine qua none pour renforcer le climat et le dispositif sonore du film : il fallait, en particulier, que Charlotte puisse reconnaître les personnages uniquement par leur voix.
Qu'il s'agisse du visuel ou de la bande sonore, le récit est traité sous l'angle du réalisme et de la sobriété, "afin que l'élément surnaturel soit accepté" selon Alanté Kavaïté . La mise en scène caméra à l'épaule, projetant une image dont les couleurs ont été désaturées à l'étalonnage, cherche à refléter le parcours intérieur du personnage. Quand à la bande sonore, elle est essentiellement figurative afin de ne pas corrompre les sons du film : J'ai eu la chance de découvrir la musique d'un artiste français, Garlo, qui a capté, en disposant 54 guitares sur une dune, les sons du vent passant sur les cordes. Cela a donné des nappes de sons abstraites assez indescriptibles." L'effet recherché étant de provoquer une vibration physique chez le spectateur, pour mieux le mettre en rapport avec l'expérience vécue par Charlotte.
L'enquête policière prend la forme d'une véritable intéraction des temporalités, où passé et présent se mêlent dans l'esprit de Charlotte alors qu'elle tente de comprendre qui était sa mère et pourquoi elle a été assassinée. C'est la rencontre de plusieurs époques, à travers l'héritage d'un don de voyance. "Ce n'est pas une croyance personnelle, explique la réalisatrice à propos des dons de divination, ni un sujet qui m'intéresse particulièrement. Je voulais créer une opposition face à la personnalité rationnelle et plus scientifique de Charlotte. Il fallait que le conflit entre la mère et la fille soit profond, qu'il ne repose pas sur de simples querelles quotidiennes. La mère de Charlotte avait le don de voir l'avenir, Charlotte se découvre celui d'entendre le passé. C'est une rencontre qui n'a jamais eu lieu entre une mère et sa fille, sinon sur ce fil tendu. Le fil du temps." Cette correspondance de plus en plus affirmée entre les deux personnages permet à Charlotte d'intégrer complètement le don de sa mère, jusqu'à pouvoir confondre l'assassin grâce à ce talent.
Dans le film, Charlotte enregistre des sons et essaye de se les représenter dans l'espace. Alanté Kavaïté explique : "Les sons étant invisibles, impalpables, il fallait que je trouve un moyen de les visualiser dans l'espace. Charlotte se rend compte que les dates des sons qu'elle enregistre dépendent de la position du micro dans la pièce. Elle se met alors à chercher le principe d'organisation de ces ons. Pour marquer chaque point, elle tend des fils entre quatre murs. Elle tisse sa toile et avance ainsi vers sa proie. Il était important pour moi que Charlotte fabrique quelque chose qui rende visible le chemin qu'elle a parcouru. En tendant les fils elle explore unen nouvelle dimension, physique aussi bien que mentale, et donne une forme à son cheminement intérieur." Idée qui n'est pas sans rappeler Spider, le film de David Cronenberg , dont le personnage principal tend ainsi des fils aux quatre coins de son appartement.