Enter the Void représente un travail de plusieurs années pour le réalisateur et le film n’est pas sans rapport avec 2001 : l'odyssée de l'espace, qui a largement marqué Gaspar Noé: "Comme beaucoup de réalisateurs, toute ma vie, j’ai rêvé de faire mon 2001 à moi… en y greffant d’autres émotions ressenties avec Eraserhead ou Inauguration of the Pleasure Dome. Le premier, j’ai dû le voir au moins 50 fois, les autres presque une trentaine et je ne m’en lasse toujours pas. Mais, sans vouloir me comparer à ces immenses cinéastes, l’objet fini est à mille lieues de ces repères, certainement parce que les obsessions qui sont à l’origine de ce projet proviennent de mes 20 ans et qu’elles sont beaucoup moins adultes que celles de Kubrick, Lynch ou Anger. Du coup, je crois que c’est vraiment un film pour les adolescents en quête de perceptions, altérées. Un film « trip », tel qu’on vendait 2001 à l’époque de sa sortie. Le résultat est quand même un ovni assez cher dans le système de production international et c’est justement ça qui fera peut-être son succès. Sans le soutien passionné de Wild Bunch, de Fidélité et de BUF, ce film ne se serait jamais fait."
Le film est divisible en trois parties et comporte trois types de systèmes narratifs différents, chacun liés à des déformations de la perception dont Gaspar Noé dresse le tableau: "L’idée est de reproduire par des moyens cinématographiques des états altérés de la conscience et de se rapprocher autant que possible de la perception humaine, même pendant des phases de sommeil, d’agonie, etc. Au bout de la trentième minute, Oscar se trouve dans un état second et commence à avoir des hallucinations qui ne s’arrêteront qu’avec la fin du film. Quand on fait des effets spéciaux « mentaux », c’est comme improviser un concert sans avoir jamais été chef d’orchestre ni savoir jouer du moindre instrument : on dépend totalement de celui qui va choisir les musiciens et être capable d’harmoniser leur travail. A l’arrivée, un « goût » musical ressort, mais les instruments sont entre les mains des autres. Et là, avec Pierre Buffin et ses équipes, j’ai été on ne peut mieux entouré."
Présentée pour la première fois au Festival de Sundance, la dernière version du film a été comparée à Avatar pour sa complexité technique et son côté psychédélique, bien que l'univers décrit soit évidemment aux antipodes du blockbuster de James Cameron.
Pour le réalisateur Gaspar Noé, son film est difficilement classable dans un genre en particulier et constitue un véritable ovni cinématographique. Il le définit lui-même comme un "mélodrame psychédélique": "Je voulais cette fois-ci faire un film hallucinatoire d’images et de couleurs, quelque chose d’onirique ou hypnotique où la beauté visuelle et le sensoriel prendraient le pas sur le factuel (...) Même s’il est souvent question de défonce, ce n’est pas un film sur la défonce, mais plutôt sur l’existence comme une dérive sans port d’arrivée. Le sujet principal serait plutôt la sentimentalité des mammifères et la chatoyante vacuité de l’expérience humaine."
Le personnage d'Oscar, interprété par Nathaniel Brown, dans le film n'est jamais filmé de face, ce qui est assez inhabituel. Gaspar Noé explique que c'est pour cette raison qu'il a préféré choisir un acteur non professionnel et raconte sa rencontre avec le comédien: " Pour le rôle d’Oscar, qu’on ne voit jamais de face, j’aurais sûrement eu à gérer des crises de nerfs narcissiques à un moment ou à un autre si j’avais dû prendre un comédien. Du coup, j’ai choisi quelqu’un qui voulait être réalisateur et qui était enchanté de participer à un tournage en apportant des idées s’il le souhaitait. Il est très intelligent et il s’est avéré excellent sur le plateau. Lors d’une séquence en vision subjective où j’étais très fatigué, je lui ai même proposé de faire la caméra à ma place. J’ai rencontré Nathan environ dix jours avant le début du tournage. Il vendait des t-shirts à Brooklyn. Une semaine après, il était « star » de cinéma au Japon."
Pour ne pas éclipser le film par des têtes d'affiche trop impressionnantes, Gaspar Noé a choisi des acteurs professionnels mal connus du grand public ainsi que des débutants: "Le parti pris était de ne pas avoir de comédiens qu’on puisse reconnaître, mais pas forcément des non professionnels car, pour le rôle de Linda, je voulais avoir une fille qui ait l’habitude de crier ou de pleurer sur commande, le film comportant de nombreuses séquences mélodramatiques. J’ai vu à la fois des jeunes actrices, des non professionnelles et des mannequins. Puis aux Etats-Unis, j’ai rencontré Paz de la Huerta que j’ai aimée plus que les autres. Il fallait ensuite que je trouve un frère qui lui ressemble physiquement, parce que je ne supporte pas les films où le frère et la soeur ne se ressemblent pas. Oscar (Nathaniel Brown) et Alex (Cyril Roy) eux, ne sont pas du tout des comédiens. La plupart des personnes à l’écran n’imaginaient pas qu’un jour ils joueraient dans un film. Ce sont des gens qui sont à l’aise dans la vie, ils s’amusent devant la caméra et je pense qu’à aucun moment, ni Nathaniel ni Cyril ne sentaient qu’ils travaillaient. Paz avait sans doute davantage conscience d’interpréter un rôle."
La première version du film qui durait 2h41 a été présentée au Festival du Film de Toronto. Une nouvelle version rallongée de deux minutes supplémentaires a ensuite été projetée lors du Festival de Cannes en 2009. Le film n'était alors pas tout à fait fini: la post-production prit trois mois supplémentaires durant lesquels des éléments visuels et sonores furent accentués. Gaspar Noé coupa ainsi quatre minutes du film et ajouta une séquence-prologue de deux minutes. Le film se termine sur "the void" (le vide) sans générique de fin.
Le grand défi de ce film reste pour Gaspar Noé les effets visuels psychédéliques pour lesquels il a dû redoubler d'ingéniosité: " Le film comporte des mouvements de caméras très complexes…Ma plus grande obsession quand j’ai commencé à préparer le film n’était pas de savoir qui allait jouer dedans, mais qui serait mon machiniste. Le plus compliqué c’était d’avoir quelqu’un de suffisamment doué pour trouver des systèmes de fixage de grue pour que la caméra vole en permanence en traversant les murs. Ça paraissait un pari technique impossible. On a essayé de faire fabriquer des prototypes. Finalement on pensait tourner dans des décors réels, mais on a dû beaucoup reconstruire en studio parce que c’était impossible autrement. Du coup on avait des énormes grues dans les studios et leurs mouvements étaient parfois limités. Je faisais des cauchemars dans lesquels la grue était bloquée et, tous les soirs, je rêvais de position de caméra et d’enchaînement de plans… Heureusement on m’a trouvé un machiniste japonais aussi génial qu’adorable. C’est même un miracle que le film soit techniquement aussi achevé, parce que chaque séquence soulevait un nouveau problème technique."
"Comme le « Void », ce Love Hotel a été créé de toutes pièces en studio. Il y en a beaucoup à Tokyo, mais les étrangers n’y sont pas vraiment les bienvenus et tout est écrit en japonais. Je me suis inspiré des bouquins de photos de Love Hotels, mais en poussant le côté psychédélique", raconte Gaspar Noé.
"Contrairement à Irréversible où il y avait un scénario de trois pages, on avait un scénario d’une centaine de pages mais avec très peu de dialogues… Comme le projet était très visuel, il fallait décrire le moindre détail et jusqu’à la couleur des nuages, pour aider les gens à visualiser un film qui paraissait extrêmement abstrait. Donc j’avais écrit tous les détails de mise en scène, les mouvements de caméra. Puis sur le tournage, pour certaines séquences, très souvent, je proposais aux comédiens de rajouter leurs propres dialogues et des actions une fois la prise « utile » tournée. Les dialogues ne sont jamais meilleurs que lorsqu’ils sont naturels aux comédiens. D’ailleurs si le film dépasse aujourd’hui les deux heures, c’est parce qu’il existe un temps naturel aux séquences. Si on essaye d’accélérer ce temps naturel, on arrive à des résultats trop informatifs et les situations ne vivent plus par elles-mêmes." Gaspar Noé.
Gaspar Noé n'a pas tout de suite eu en tête le Japon comme lieu de tournage. Il a longuement hésité avec d'autres pays et d'autres villes:"La première version du scénario se déroulait dans la Cordillère des Andes, la deuxième en France et j’ai écrit une version en pensant tourner le film à New York… Mais pour moi, le Japon est le pays le plus fascinant qui soit et j’ai toujours eu envie d’y tourner un film. Pour ce projet précis, avec son aspect hallucinogène nécessitant des couleurs très vives, Tokyo (qui est l’une des villes les plus colorées et avec le plus de lumières clignotantes que je connaisse) était donc le décor idéal. Même si ça paraissait très compliqué au départ, tourner là-bas fut un plaisir énorme et je serais heureux de refaire un film au Japon. " Le tournage à Tokyo s'est déroulé sur un peu plus de trois mois tandis que le tournage à Montréal, au Québec, qui concerne les séquences sur l'enfance des personnages, a duré quatre semaines. Au départ Gaspar Noé voulait tourner les séquences sur l'enfance à New York (où il a lui-même passé une partie de son enfance), mais pour des raisons de législation du travail, son choix s'est finalement porté sur le Canada car les lois du pays permettaient d'y tourner pendant plus longtemps qu'aux États-Unis, où le tournage aurait pris huit semaines au lieu de quatre.
"J’ai eu une éducation athée mais, comme la plupart des athées, vers la fin de l’adolescence, quand on commence à fumer des joints, on commence aussi à se poser des questions sur la mort et sur l’existence d’un au-delà éventuel. Même si je n’ai jamais eu des tendances religieuses, j’ai commencé à m’intéresser aux livres traitant de la réincarnation, La Vie après la mort de Raymond Moody notamment, et je me faisais tout un film sur ce qui pourrait m’arriver si je venais à mourir. Cette peur de la mort s’estompe en grandissant, mais les premières idées de faire un film sur ce qui se passe après la mort du personnage principal viennent de cette époque-là. Plus tard, vers 23 ans, j’ai découvert sous champignons La Dame du lac (Robert Montgomery, 1947), qui est un film entièrement en vision subjective et, tout d’un coup, j’ai été transporté dans la télé et dans la tête du personnage principal, bien que le film soit en noir et blanc et sous-titré. Je me suis dit que filmer à travers les yeux d’un personnage était le plus bel artifice cinématographique qui soit et que le jour où je ferai un film sur l’au-delà, ce serait en vision subjective. Des années plus tard, l’ouverture de Strange Days de Kathryn Bigelow m’a confirmé l’efficacité de ce parti pris filmique. L’idée de ce film traînait donc depuis bien avant Carne ou Seul contre tous. Je l’ai écrit pendant près de quinze ans et je ne sais plus par combien de versions je suis passé. Les premières étaient beaucoup plus narratives et linéaires, les dernières plus abstraites et planantes."
Dans son film, Gaspar Noé fait le lien entre l'univers des drogues et de la mort: "Des livres racontent comment les gens font des hallucinations au moment de leur mort, liées à la sécrétion de DMT dans leur cerveau. Cette molécule est la substance à l’origine des rêves et il paraît qu’une décharge massive peut se produire lors d’un accident ou de la mort. Cette molécule est la même qu’on peut absorber en grosse quantité dans certaines plantes d’Amazonie… Je n’ai jamais eu de mort clinique, ni été dans le coma, et je ne crois pas en une quelconque vie après la mort. Mais ça me plaisait de faire un film sur un personnage qui, pour se rassurer, a envie de croire en l’au-delà. Comme s’il faisait un dernier voyage en esprit et qu’il projetait ses obsessions, ses désirs et ses peurs selon le parcours post-mortem décrit dans Le Livre des Morts Tibétain."
Dans ses films, le réalisateur traite très souvent du thème de la méprise ou de l'accident qui peut soudain changer une vie ou un destin. Que ce soit dans Carne où un malentendu tourne au coup de poignard, dans Irréversible où le viol anonyme attend Monica Bellucci au détour d’une rue et l’accident de voiture de Enter the Void, il fait passer l'idée que l'on peut tout perdre en une seconde. Dans le cas d'Enter the Void, il explique:" La peur de perdre ses parents est la peur ultime de tout enfant et, en effet, c’est un ressort dramatique auquel n’importe qui devrait s’identifier. J’ai rencontré une fois une fille qui avait assisté avec sa petite soeur à la mort de sa mère dans des conditions très similaires. Quant à moi, j’avais eu très jeune un accident de taxi qui, bien qu’anodin en comparaison, est resté gravé dans ma mémoire. Mais le vrai ressort dramatique dans ce film est le pacte de sang des deux enfants, avec cette promesse impossible à tenir de se protéger mutuellement, même par-delà la mort."
Enter the void a été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2009.