La Forêt oubliée a été présenté en 2005 au Festival de Cannes, dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs, une section parallèle. Mais -et c'est une première dans l'Histoire de la manifestation- , la Sélection officielle, par la voix de son délégué artistique, Thierry Frémaux, s'est associée à la projection de ce film.
"Les images font appel au sens. Elles n'ont pas la même logique que les mots. Chaque être humain perçoit les images de manière différente -et il est donc bien difficile de savoir lesquelles sont positives et lesquelles ne le sont pas. La majorité des images qui nous entourent viennent de la télévision, et plus le cinéma tente de faire concurrence au petit écran, plus les cinéastes se sentent obligés de tourner des images simplistes. La plupart des enfants s'éveillent au monde grâce à des livres d'images. Ce n'est qu'ensuite qu'ils apprennent à lire. J'irais même jusqu'à dire que nous appréhendons le monde à travers les images avant de maîtriser le langage des mots. Puisque les images revêtent une telle importance, il nous faut être d'une grande prudence lorsque nous créons des images artificielles au cinéma. Dans La Forêt oubliée, les images que nous pouvons percevoir et celles que nous voulons percevoir sont intimement mêlées. C'est pourquoi le film possède une certaine abstraction, qui était inévitable et qui risque de déconcerter certains spectateurs. Cependant, j'espère que La Forêt oubliée poussera les gens à aller davantage vers ce genre de film."
Le Forêt oubliée est l'oeuvre du Japonais Kohei Oguri, auteur notamment de L'Aiguillon de la mort, Grand Prix du Jury et Prix de la Critique internationale au Festival de Cannes en 1990. Né en 1945, Oguri est un cinéaste qui prend son temps : en 25 ans, il n'aura tourné que cinq long métrages, son premier opus, Doro no kawa (nommé à l'Oscar du Meilleur film étranger) datant de 1981.
Kohei Oguri expose sa conception du fantastique : "Pour moi, c'est lorsque notre environnement familier cesse d'appartenir à la réalité pour basculer dans un autre univers. Je pense que le fantastique évoque la capacité à aller au-delà des apparences. En devenant de plus en plus commercial, le cinéma a érigé le fantastique en genre. Le pouvoir des images a limité la portée du fantastique, alors qu'il s'agit, selon moi, d'un concept bien plus riche que cela."
Le choix d'avoir recours à une caméra numérique HD participe de la réflexion du cinéaste sur le statut de l'image : "La HD permet de capter des images que l'oeil humain ne perçoit pas. Les gens ont donc le sentiment que la comparaison entre leur regard et la HD est inégale", note-t-il. "De même, quand la télévision est née, elle a été surnommée "le théâtre d'ombres électriques" : elle avait l'apparence de la réalité, mais elle semblait encore artificielle. La HD suscite aujourd'hui un sentiment similaire. Pour ce film, je souhaitais faire en sorte qu'on arrête de croire que ce que nous montre la caméra se confond avec la réalité. Si j'ai utilisé la HD, c'est essentiellement pour susciter un questionnement ou un sursaut chez le spectateur, du genre : "Est-ce que ce que je suis en train de voir à l'écran est bien vrai ?" Je voulais aussi expérimener de nouvelles images qu'on ne peut obtenir qu'en HD, et pas en support argentique."
Le cinéaste établit un lien entre l'histoire que raconte son film et les événements du 11 septembre 2001 : "Si (...) nous tentions d'aller au-delà des apparences, le monde nous apparaîtrait comme porteur de changements. Dans La forêt oubliée, j'ai voulu parler de choses immatérielles, comme les pensées ou les rêves. On pourrait sans doute surnommer la forêt souterraine "Ground zero". Si on n'avait foi que dans ce qu'on voit, les événements du 11 septembre ne se seraient jamais produits. Personne n'a été capable de les prévoir. Les gens en ont été témoins, mais n'ont pas tenté d'aller au-delà. Dans le monde du spectacle, on a sans doute aussi vu des avions s'écraser contre des immeubles. Mais personne ne s'y est intéressé : il s'agit en fait d'un événement prévisible qui a été mis en scène."