Bien qu'il n'ait pas eu les problèmes d'un cinéaste comme Clouzot, on a pu, à la Libération, reprocher à Carné d'avoir travaillé sous l'Occupation avec des studios tenus par des allemands. Le film Les visiteurs du soir est pourtant un hommage à la Résistance.
En effet, Prévert et Carné ont placé le contexte du film au Moyen-Age car il était très difficile de traiter de leur époque sans qu'on les oblige à y intégrer des éléments de propagande. Mais il est véritablement question de celle-ci puisque si l'on inverse la date donnée au début du film, 1485, on obtient 5/8/41 soit le 5 août 1941. Ainsi, dans cette métaphore de l'Occupation, le baron Hugues représente Pétain, son château le régime de Vichy et le diable, les Allemands. Et à la fin du film, quand les deux amants sont statufiés par le diable, leurs cœurs continuent à battre, pour toujours. Ainsi, ces cœurs que rien ne peut empêcher de battre renvoie à l'esprit de résistance des français (et peut-être à la Résistance même) qu'aucune répression ne pourra réduire.
Marcel Carné a évoqué les conditions difficiles du tournage des Visiteurs du soir: manque d'argent, de temps et contexte troublé de l'Occupation ont ponctué l'aventure. "C’est-à-dire qu’on manquait de tout. Un exemple. J’avais besoin de staff. On le fabrique avec du plâtre et du crin. Le crin étant introuvable, on le remplace par de l’herbe. Résultat : les acteurs emportaient le dallage du décor à leurs semelles. Les costumes de mes personnages exigeaient des velours, des satins. De ces précieuses matières, je parvins à habiller mes principaux acteurs. Les autres durent se contenter de rayonne. Tous participaient à un banquet. Je m’aperçus qu’en approchant ma caméra trop près de la table, la rayonne crevait les yeux. À ce propos, il m’a été reproché d’avoir filmé mon banquet de trop loin. On le trouvait terne. Ceux qui ont parlé et écrit ainsi n’ont certes pas tenu compte des difficultés que j’avais rencontrées en cours de réalisation. Autre incident, consécutif aux restrictions (...) Affamés, mes figurants piquaient tout ce qui les tentait. En déplaçant un jour une miche, je la trouvai légère, légère… La retournant, je constatai que toute la mie avait été retirée. Quant aux fruits, afin qu’on ne les touchât plus, je décidai de les piquer au phénol", raconte-t-il.
Arletty interprète un suppôt de Satan, un rôle pour le moins énigmatique et ambitieux. Elle raconte: "C’était un rôle qui répondait à ma nature, Jacques l’avait remarqué. Il a eu en outre le génie de m’appeler Dominique, un prénom à double face. Je devais aussi jouer dans un film un autre rôle équivoque, celui du chevalier d’Éon. Raimu devait être mon précepteur. Mais c’était la guerre et c’était la Continental, société de production allemande qui se chargeait de financer le film. Raimu avait déjà joué chez eux "Les Inconnus dans la maison". Moi, je ne voulais pas."
Dans le film, Marcel Carné a rassemblé plusieurs personnages nains, mais la cohabitation avec eux n'a pas été évidente. L'un d'entre eux s'est facturé une jambe sur le tournage, le réalisateur se souvient: "De cet accident, résulta une panique parmi mes nains. Ils prirent la fuite. Je dus partir à la recherche d’autres. Tous ceux qu’on me proposait étaient ou trop grands ou trop petits ou trop gros. Ils devaient aussi savoir chanter. Enfin, je parvins à en rassembler un choix. Je leur distribuai des cagoules, car on ne devait pas voir leur visage. Un jour, en dirigeant les chœurs, je m’aperçus qu’un des choristes chantait faux. Je lui demandai de simplement mimer les paroles. Il ne voulut rien entendre. Vexé, il continua de chanter… Mes nains m’ont causé bien des soucis. Ils étaient d’une incroyable susceptibilité. Pour un rien, ils en venaient aux mains. Parmi eux, un Arménien et un Turc se flanquaient régulièrement des raclées…"
Jules Berry, qui interprète le diable dans le film, était réputé pour ne jamais apprendre son texte. Avec surprise, pour Les Visiteurs du soir, il s'était préparé un mois à l'avance, ce qui ne l'a pas empêché d'oublier son texte le jour du tournage! Carné rapporte: "Lui qui n’apprenait jamais son texte sut le sien un mois d’avance. Ce fut un sujet d’étonnement pour Prévert et moi. Seulement, à la minute du tournage, il avait tout oublié ! Et je dus m’y reprendre à vingt fois pour qu’il retrouvât son texte… "
Simone Signoret a assisté et participé à l'aventure des Visiteurs du soir en tant que... figurante! Peu connue à l'époque, elle garde un souvenir impérissable de sa rencontre avec Marcel Carné: "Pendant trois mois, j’ai été l’une des rares survivantes parmi tous ces figurants. Parce que Carné virait du monde après chaque décor : il nous mettait tous en rang, il passait devant nous comme un colonel et disait : « vous, fini », « vous, fini ». Moi, il me gardait. nous n’avons été que trois à faire tout le film : Arsénio Fregnac, Madeleine Rousset et moi. Carné nous a gardés parce qu’il nous trouvait gentils et qu’on le faisait rigoler. Pendant les extérieurs, même lorsque je ne tournais pas, je me mettais dans un coin et je regardais. Pour la première fois, je côtoyais des stars! Je n’en perdais pas une!… ", confia-t-elle.
André Bazin, le célèbre critique, fondateur des Cahiers du cinéma et mentor de François Truffaut, a vu dans Les Visiteurs du soir le film idéal pour expliquer sa théorie du cinéma. En effet, s'inspirant d'écrits sur d'autres arts (littéraires ou picturaux notamment), il pensait pouvoir clairement juger les films selon des critères objectifs. Ainsi, en 1942, le film de Carné eut beaucoup moins de succès que Le Voile bleu de Jean Stelli, record des recettes cette année-là, et que Bazin jugeait bien inférieur. Bien que reconnaissant des défauts aux Visiteurs du soir, le critique clama qu'il fallait soutenir ce film aveuglément car comme il le dit, il: "surgit dans la morne production 1941-1942 comme un évènement révolutionnaire.".
Lorsque les restaurateurs se sont attelés aux Visiteurs du soir, ils ont eu la mauvaise surprise de découvrir des éléments en très mauvais état. Le négatif original était si détérioré que certains de ses morceaux abîmés avaient disparu, remplacés par des reproductions. Afin de numériser les images en haute définition, ils durent recourir à une copie tirée au début des années 60, d'une définition correcte, mais sale et écorchée. Six mois de travaux auront été nécessaires à l’élaboration de masters numériques, aptes à servir au tirage de Dvd et à la création d’un nouveau négatif image, permettant une ressortie en salles.