Si El Cantor est le premier long-métrage de Joseph Morder, le cinéaste n'en est pas à ses premiers faits d'armes. Né en 1949 de parents d'origine juive polonaise mariés à Caracas, Joseph Morder a vécu la plus grande partie de son enfance en Equateur avant de s'installer en France. Marqué par le cinéma hollywoodien, le mélodrame, la Nouvelle Vague, il réalise de nombreux court-métrages, documentaires et films expérimentaux en très large partie autobiographiques, abordant les thèmes de la mémoire, de l'enfance ou de la judéité. Ses films, tournés en super-8, en vidéo ou en 35mm, ont pour noms Assoud et le mystère de la plage, Romamor ou encore Mémoires d'un Juif tropical.
Au cours de sa carrière, Joseph Morder a été enseignant en cinéma expérimental à l'Université de la Sorbonne. Il y a notamment eu pour élève un certain François Ozon...
En guise de pistes d'écriture, le metteur en scène Joseph Morder n'a fourni à son scénariste Harold P. Manning que quatre ou cing pages de synopsis dactylographiées et un article de journal. Harold P. Manning explique comment s'est déroulé l'écriture de El Cantor:"Joseph m'ayant donné carte blanche, je ne me suis pas privé d'apporter mon bric-à-brac personnel, des choses qui me font rire, des trucs piochés ici et là. Joseph situait El Cantor dans une ville sans nom qui en évoquait beaucoup d'autres. Je décrivais des lieux vus à Bruxelles, à Vienne, à New York, un peu partout. J'interprètais aussi ce qu'il me racontait de Berlin ou de Madrid. Joseph a beaucoup de tendresse pour ses personnages, alors moi je les rendais colériques ou insupportables, je leur faisais faire des choses étranges. Mais mes propositions loufoques, dans le film terminé que je vois aujourd'hui sur l'écran de la salle de montage, Joseph a su en faire une caisse de résonance pour ce qu'il avait à dire, lui."
L'utilisation de la musique reste bien particulière sur le film. Joseph Morder confirme: "Comme il s'agit d'un film sur la musique, je n'ai pas voulu utiliser beaucoup de musiques! Pour moi, la musicalité se situe ailleurs: dans la construction de chaque plan, dans le mouvement des personnages, dans leur diction."
Tourné au Havre, le film baigne dans une lumière que le réalisateur désirait plate, presque terne:"Le principe pictural du film était le suivant: le fond du plan devait être relativement neutre, tandis que les personnages étaient censés s'en détacher grâce à des couleurs vives".
Françoise Michaud a tourné avec Jean-Pierre Mocky, Claude Zidi, Gérard Blain ou Alain Tanner Cette "égérie" de Joseph Morder a déjà incarné dans ses films et tour-à-tour la mère, la femme, la soeur ou l'amante. Le cinéaste lui a dit un jour: "Tu seras dans tous mes films". Avec El Cantor, ce serment est encore une fois renouvelé. Le metteur en scène voit en elle "une sorte de glamour hollywoodien, revu par la Nouvelle Vague. Je la compare aussi à Katharine Hepburn dans les comédies d'avant-guerre de Howard Hawks ou de George Cukor..."
L'art des cantors, ces chanteurs de mélodies tristes et profondes, s'est évanoui avec la Seconde Guerre Mondiale. Le journaliste Louis Skorecki est spécialiste de la musique juive des cantors:"C'est au tout début du siècle dernier que naît, en Europe de l'Est, ce style 'ancien' que Moshé Stern est l'un des derniers à pratiquer encore. Mélange de chants de bergers roumains et de berceuses cosaques, il s'éloigne, au fil des ans, des rigueurs 'grégoriennes' des prières antiques. L'engouement pour l'opéra conduit tout naturellement les cantors, dans leurs improvisations, à des prouesses vocales de plus en plus musclées."