Stuart Gordon avait forgé son identité de cinéaste et habitué son public de par ses nombreuses adaptations et inspirations de Howard Phillips Lovecraft. En effet, l'écrivain, parmi quelques autres du genre, lui ont en quelques sortes ouvert les portes du cinéma de la science-fiction horrifique, pour en réaliser quelques essais notoires, dans l'ombre de John Carpenter et David Cronenberg, pour rester dans la même époque. On en retient notamment Re-Animator, From Beyond ou encore Dagon. Il a généralement réussi à marquer un public bien spécifique, lui octroyant un bon nombre de fans, tout en restant largement à l'écart du show-business.
Avec Edmond, Stuart Gordon semble avoir emprunté une toute autre voie, laissant derrière lui pratiquement tout ce que faisait son identité de cinéaste si particulière. Ici, il n'y a pas d'expérience scientifique ni d'horreur organique ni d'hallucination. Au contraire, le réalisateur se concentre sur un sujet bien plus actuel et rationnel, élabore ses questionnements sur la socialisation de l'Homme, sa quête du bonheur, ses frustrations et sa déchéance. Visiblement, le changement, c'est maintenant et Gordon emprunte librement les chemins établis par Scorsese et Ferrara en implantant son personnage principal au milieu des rues new-yorkaises, en pleine nuit, accompagnée par une aire jazzy permanente.
S'il est possible d'y trouver la moindre similitude avec les antécédents du réalisateur, c'est bien au niveau du budget. Avec le strict minimum, Stuart Gordon élabore en main de maître une "épopée" urbaine sombre et fascinante, opérée par un William H. Macy mémorable. La marche nocturne et progressive d'un homme las de sa vie monotone, au questionnement existentiel et aux agissements démesurés laisse au spectateur une abondance d'interrogations sur son existence et sa destinée. Il en dégage du personnage principal une telle force humaniste que chaque dérangement ressenti de par ses manigances en devient un brin compréhensible, malgré son caractère imprévisible.
Stuart Gordon signe probablement ici son film le plus abouti. Il livre une odyssée humaine des plus sombres et des plus pessimistes. La révolution d'un homme, incompris par la société, sujet d'une véritable révélation qui lui octroie cette quête de bonheur permanent, ce sentiment d’accomplissement. Une descente aux enfers progressive et philosophique sur l'instinct humain primaire, rongé par son désir de domination et rattrapé par ce qu'il a construit. Edmond frise le chef-d'oeuvre mais garde son identité grâce à cette aura, si infime soit-elle, de film indépendant à la sincérité garantie.