Tenja est le premier long métrage de Hassan Legzouli. Né au Maroc en 1963, il arrive à Amiens au début des années 80 pour étudier les mathématiques. Mais le jeune homme s'oriente bientôt vers le cinéma, et intègre l'INSAS, prestigieuse école bruxelloise. Après plusieurs courts-métrages, il signe en 1998 un moyen-métrage présenté au Festival de Namur, Quand le soleil fait tomber les moineaux, ou le quotidien d'un couple de paysans qui attendent le retour de leurs fils partis à la guerre.
"Ce film est basé sur l'idée que rien n'est inné, que tout s'acquiert. Ce n'est pas parce que le père de Nordine vient du Maroc que Nordine est marocain. Contrairement à l'idée reçue, avoir conscience de ses origine nécessite un apprentissage. Nordine va découvrir ce pays dont il est originaire mais qu'il méconnaît totalement, sans pour autant le rejeter (...) C'est un type qui a la trentaine, sa vie, sa situation. Il ne vient pas de nulle part, il est enraciné dans une région et une culture : son père s'inscrit dans une histoire très forte, celle de la mine dans le Nord de la France. Il se trouve que ce père est aussi un immigré marocain, qui vient d'un petit village du fin fond de l'Atlas. Le film montre le moment de conciliation entre deux origines. Au début Nordine est réticent face à l'inconnu, et puis petit à petit, il apprivoise ce pays."
Hassan Legzouli a confié le rôle principal de Tenja à Roschdy Zem, acteur français qui est lui-même d'origine marocaine. "Rares sont les acteurs maghrébins qui, comme Roschdy ou Sami Bouajila, ont réussi à casser les clichés et à s'imposer dans le cinéma français", estime le cinéaste qui ajoute : "Je n'ai appris qu'après lui avoir proposé le scénario, que son histoire en était très proche. Tout cela a contribué à enrichir le film." Quant à Mohamed Majd, qui interprète le père de Nordine, il a joué des rôles comparables dans plusieurs road-movies tournés au Maghreb : Le Cheval de vent de Daoud Aoulad Syad ainsi que Les Chemins de l'Oued de Gaël Morel et Le Grand voyage d'Ismaël Ferroukhi , deux films réalisés par de jeunes cinéastes français, et qui mêlent conflits de générations et dialogue des cultures.
Le cinéaste tenait à ce que son film, qui aborde des thèmes douloureux, conserve une certaine pudeur. Il s'explique : "Je voulais (...) éviter toute dramatisation et toute psychologie autour de la mort du père. Dans mon esprit, l'émotion ne devait pas fonctionner ponctuellement, par pics (...), elle devait imprégner tout le film : mon idée était de faire un film apaisé et pudique." Il ajoute : "Cette pudeur est une donnée culturelle, c'est l'éducation que Nordine et moi-même avons reçue ! Dans la culture berbère, on n'exprime pas ses émotions. Je me souviens de mon grand-père qui demandait pardon à Dieu à chaque fois qu'il disait "je". C'est une société où l'individu n'existe pas : on appartient à la famille, au clan, ce qui est à la fois rassurant et oppressant."
Le cinéaste donne des explications sur le titre du film : "Il y a une légende au Maroc qui raconte que Noé, perdu au milieu du déluge, a vu une colombe se poser sur son arche. Constatant qu'elle avait de la glaise sur les pattes, Noé s'est mis à crier : "Ten ja !", ce qui en arabe signifie "la terre est là, la terre est revenue". C'est la légende que racontent les Tangérois pour expliquer l'origine du nom de leur ville. Il en reste une trace dans le film. Le personnage de passeur dit : "Je connais le chemin qu'a pris Noé pour arriver ici, mais moi je le fais dans l'autre sens, parce qu'aujourd'hui le déluge est de ce côté-ci." Le titre mêle ainsi la ville emblématique du Maroc, qui est aussi celle du premier contact de Nordine avec ce pays, et la symbolique du retour du corps du père. "Poussière tu es, et à la poussière tu retourneras"
Tenja est dédié au grand écrivain marocain Mohamed Choukri. Hassan Legzouli confie que le personnage de Mimoun lui a été inspiré par une nouvelle de l'écrivain : Le Fou des roses. L'auteur du roman autobiographique le Pain nu, qui fut proche de Paul Bowles et Tahar Ben jelloun (traducteurs de son oeuvre, respectivement en anglais et en français), devait faire une apparition dans le film, mais, très affaibli en raison de son cancer, il dut y renoncer. Il est décédé le 15 novembre 2003, quelques semaines après la fin du tournage.
Tenja a été présenté en compétition au 4e Festival international du film de Marrakech, en 2004.