Tout au long du film, on entend la chanson de Christophe Les Mots bleus. Ce n'est pas la première fois que ce morceau inspire un cinéaste. Ecrit par Jean-Michel Jarre et composé par Christophe, ce hit de 1974 revient comme un leitmotiv dans Rien à faire de Marion Vernoux (1999) : ce film, qui conte l'histoire d'amour entre deux chômeurs, s'ouvre sur un plan de Valeria Bruni-Tedeschi fredonnant ce morceau au téléphone pour un jeu radiophonique.
L'héroîne des Mots bleus est Sylvie Testud, qui était déjà à l'affiche du précédent long métrage d'Alain Corneau, Stupeur et tremblements, adapté du roman à succès d' Amélie Nothomb. Elle avait décroché, pour sa drôlatique composition d'employée d'une entreprise japonaise, qui va de déconvenues en humiliations, le César de la Meilleure actrice.
Les Mots bleus est l'adaptation de Leur histoire, un ouvrage de la romancière et traductrice Dominique Mainard. Paru en 2002, ce livre avait alors été récompensé par le Prix du Roman FNAC.
Les Mots bleus est produit par la société ARP Sélection, créée par le couple Laurent Pétin-Michèle Halberstadt. Celle-ci revient sur la genèse du projet : "Dès la première lecture de Leur histoire, c'est le visage de Sylvie Testud que j'ai vu. J'ai envoyé le livre à Sylvie, parce que sans elle, mon rêve s'arrêtait là. Sa réaction a été au-delà de mes espérances (...) [Alain Corneau] avait une fois refusé un projet que nous lui avions envoyé, alors j'ai laissé Sylvie lui offrir le roman, sans rien dire. Son coup de fil quelques jours plus tard marquait le début de notre histoire, son humilité, sa modestie, son charme incandescent font partie de la légende du cinéma. Et puis, la musique a fait le reste."
Le cinéaste explique comment il s'est efforcé de traduire à l'écran la poésie du livre : "C'est une poésie qui n'est pas toujours réaliste. Car le livre ne répond pas aux questions qu'il pose. Dominique Mainard nous laisse dans le flou et elle a souvent recours à des procédés magiques, ce que j'appelle des brouillons. La résolution cinématographique consistait à garder une partie de ces brouillards, tout ce qui concerne les oiseaux par exemple. Pour rendre compte de la magie de l'enfance, en revanche, on a un atout que le livre n'a pas : le regard de l'enfant, qui est en lui-même un mystère assez magique. On a détourné peu à peu cet aspect fantasmagorique vers quelque chose de beaucoup plus intériorisé dans les personnages (...) le héros masculin a plus de poids dans le film que dans le livre, les deux personnages sont plus équilibrés dans le film. On a passé dans le rapport entre eux une part du mystère évanescent du livre."
Alain Corneau reconnaît qu'avec Les Mots bleus, c'est la première fois qu'il filme, "frontalement", une histoire d'amour : "Pourquoi ne l'avais-je pas fait avant ? Par défaut, peut-être. Ou bien c'était un refus inconscient de ma part. En tout cas, ce livre est arrivé au bon moment. J'y retrouve mes hantises. Je suis tombé amoureux de cette histoire d'amour extraordinairement contredite, qui raconte la découverte de soi par le regard de l'autre. Ce n'est pas seuleemnt la découverte de l'amour récoproque. C'est l'histoire de quelqu'un qui fait découvrir ce qu'il est à quelqu'un d'autre et vice versa. C'est un film que j'ai fait sans avoir de références précises. Si je dois vraiment décortiquer les choses, je dirais qu'il y a dans ce film cette espèce de quête d'identité que je trimballe dans tous les films que j'ai faits. C'est un film plutôt féminin."
Au festival de Berlin, en 2005, Les Mots bleus représentait la France dans la Sélection officielle.
L'écrivain Dominique Mainard donne son point de vue sur cette adaptation : "Dans un mot envoyé à Alain le lendemain de la projection, j'ai écrit qu'il avait su ouvrir toutes grandes des portes que je n'avais qu'entrebaîllées. Et j'ajouterai : comme dans les livres de coloriages d'enfants, il a su repasser au crayon sur les lignes pointillées, remplir de couleur tous les espaces blancs entre les traits..."
Le cinéaste confie que s'il a choisi la chanson de Christophe, c'est en raison de la personnalité des protagonistes de son film : "Ce sont des gens très dignes. Ils sont simples et sincères. Donc la mise en scène ne devait jamais avoir de regard hautain sur eux. D'ailleurs, pour la musique aussi, j'ai changé d'avis. Au départ, je voulais mettre une musique de Haydn. Mais cela aurait été une façon hautaine de les regarder pour raconter leur histoire. Finalement, quand est venue l'idée des Mots bleus, elle s'est imposée car cela allait avec le film. La même simplicité, la même sincérité. Bleu comme la plage, que nous avons filmée en 35 mm, pour rendre cet aspect de bout du monde, de no man's land paradisiaque."
Les Mots bleus marque la quatrième collaboration d'Alain Corneau avec le chef-opérateur Yves Angelo, après Nocturne indien, Tous les matins du monde et Stupeur et tremblements. Angelo est également connu comme réalisateur : il a signé notamment Le Colonel Chabert et Voleur de vie.
De nombreuses scènes des Mots bleus ont été tournées dans une école. Alain Corneau se souvient du travail avec les enfants : "Quand on venait les voir, en préparation, pour leur expliquer ce qu'on allait faire ensemble, ils ne faisaient pas ami-ami. Ils ne se laissaient pas embrasser. Mais dès qu'on s'est mis au travail, on est entré dans leur monde, au lieu de les faire entrer dans le nôtr, et ils nous ont adoptés. Sergi, qui avait beaucoup travaillé et connaissait bien le langage des signes, faisait souvent marrer les mômes. Il a un rapport incroyable aux enfants. Il a établi des rapports forts avec eux. C'était comme dans le film. Il avait là une supériorité sur le personnage de Sylvie. Il contrôle un monde, cette école, dans lequel elle n'a pas sa place."
Dans un premier temps, le cinéaste avait pensé intituler son film Quelque chose de bleu, du nom d'une nouvelle publiée dans un des recueils de Dominique Mainard.