Bleeder n'est jamais sorti au cinéma en France, c'est aujourd'hui chose faite grâce au distributeur La Rabbia : "Pas seulement en France, un peu partout dans le monde. C’est pour cette raison d’ailleurs que le plus souvent, seuls des spectateurs Danois me parlent de ce film. Au départ, Bleeder a été présenté à la Mostra de Venise en 1999. Kamikaze, la société de production qui s’en occupait, a immédiatement fait faillite. Elle ne s’occupait que d’un film et c’était le mien ! Du coup, Bleeder a quasiment disparu de la circulation. À l’exception de quelques pays comme la Suède ou la Norvège, il n’a pas été distribué à l’étranger. Par chance, j’ai pu racheter les droits il y a un an et je suis content que les spectateurs puissent enfin le découvrir dans une salle de cinéma. C’est un film qui m’est très cher car j’ai beaucoup appris en le tournant, sur la mise en scène comme sur qui j’étais profondément", confie Nicolas Winding Refn.
Kim Bodnia (Leo), Mads Mikkelsen (Lenny), Zlatko Buric (Kitjo) et Levino Jensen (Louis) ont déjà collaboré avec Nicolas Winding Refn dans Pusher en 1996. Après le succès de ce film, le cinéaste danois a décidé de faire appel aux mêmes acteurs et à la même équipe technique pour réaliser Bleeder.
Afin de se préparer pour le rôle et entrer dans la peau de son personnage, Mads Mikkelsen a travaillé dans un vidéo-club durant quelques semaines.
Le père de Nicolas Winding Refn, Anders Refn, était monteur ; il travaillait sur Breaking the Waves de Lars Von Trier au moment où son fils montait Pusher : "Pusher n’a pas eu la chance de Breaking the Waves. Contrairement à Breaking the Waves, Pusher était considéré comme une vulgaire série B. Par chance, le producteur anglais Rupert Preston, qui a distribué mes premiers films, a sorti Pusher en Grande-Bretagne via sa société Metrodome Distribution. Ce qui a contribué à faire connaître mon premier long métrage à l’étranger et qui m’a incité à persévérer dans cette voie", indique le metteur en scène. C'est grâce à cela que le danois a pu se faire connaître et mettre en chantier Bleeder.
Nicolas Winding Refn confesse avoir mis en scène avec Bleeder son adaptation officieuse du roman Last Exit To Brooklyn écrit par Hubert Selby Jr. Les deux hommes collaboreront ensemble 4 ans plus tard en 2003 sur Inside Job (Fear X) :
"Je lisais beaucoup de romans de Hubert Selby Jr. au moment de tourner Bleeder. J’étais tellement fan du "Démon" que je m’étais même renseigné pour obtenir les droits d’adaptation. Mais ils n’étaient pas à vendre, ils ne le seront jamais d’ailleurs puisque Hubert Selby Jr. a tout bloqué. Impossible de transposer "Le Démon" au cinéma et c’est une bonne chose, je n’aurais pas été à la hauteur du roman, je ne pense pas être bon adaptateur. Avec Bleeder, je voulais réaliser ma propre version de Last Exit To Brooklyn. Ce roman a eu un impact incommensurable sur moi ; ce que je voulais clairement montrer dans une scène où le personnage de Lea (Liv Corfixen) attrape le roman sur l’étagère d’une bibliothèque. De même, l’énergie de Chungking Express de Wong Kar-wai a été une grande inspiration au moment du tournage."
Bleeder est le film qui a vraiment affirmé le style NWR et qui reste déterminant dans sa carrière : chaque personnage est minutieusement décrit, associé dès le générique à un thème musical. L’ensemble, mouvant comme un corps adolescent, préfigure les obsessions thématiques des prochains longs métrages du cinéaste : l’amour et la violence inexorablement liés, l’hyper-sensibilité des hommes, l’angoisse de la paternité, l’appétence pour les extrêmes, avec ses deux facettes, l’ombre et la lumière, l’ultra-violence et le rose-bonbon ainsi que l’influence des frères Grimm :
"Avec ce nouveau projet, je voulais un peu m’écarter de l’étiquette « polar » afin de rectifier le manque de reconnaissance internationale du premier Pusher. Aussi, j’envisageais Bleeder comme un projet plus léger, plus évident, plus accessible, capable de traverser les frontières. En d’autres termes, il devait être « arthouse », parfait pour être présenté et remarqué dans un festival international. Je n’avais pas d’argent non plus et cette contrainte était très stimulante. Pusher était si direct dans sa construction, je voulais tenter l’exact opposé avec Bleeder pour voir ce que cela pouvait donner, pour voir ce qui marchait au cinéma et ce qui ne marchait pas, tester tous les possibles… Mais j’étais trop jeune et trop arrogant pour avoir du recul sur ce que je faisais. Dans Pusher, je me prenais pour Scorsese, je filmais un monde que je fantasmais, que je ne connaissais qu’à travers les films ou les documentaires. Mais ce monde n’était pas le mien. Avec Bleeder, je voulais affirmer ma propre identité."
C'est lors du tournage de Bleeder que Nicolas Winding Refn a rencontré celle qui deviendra sa femme, Liv Corfixen. Elle y interpète le rôle de Léa.
Nicolas Winding Refn explique la genèse du projet Bleeder : "Je vivais à Copenhague et je m’ennuyais terriblement. Je vivais dans ma bulle d’autiste en imaginant le futur que je voulais avoir et en fantasmant les films que je désirais réaliser. Il faut savoir que mon fantasme secret avec Pusher, depuis le début, c’était de revenir aux États-Unis, pour y réaliser des films. Ce que j’ai accompli bien plus tard avec Drive et non avec Inside Job qui était censé se dérouler aux Etats-Unis mais que nous avions tourné au Canada. Pusher et Bleeder m’ont permis de faire le cinéma de New York à Copenhague."
Bleeder est influencé par le cinéma indépendant américain des années 90 emmené par Kevin Smith (Clerks), Richard Linklater (Slacker), Roger Avary (Killing Zoe) et Quentin Tarantino (Reservoir Dogs). Touefois, l’influence majeure, revendiquée jusque dans la construction et dans la superposition des histoires, reste Chungking Express de Wong Kar-wai que Tarantino avait justement défendu à sa sortie via sa société de distribution Rolling Thunder. Une influence nommément citée dans Bleeder lorsque Léa, incarnée par Liv Corfixen, contemple une affiche du film placardée sur un mur.
NWR confie que de tous les acteurs de cette génération, il n'est resté en contact qu'avec Mads Mikkelsen : "J’ai rarement eu un coup de foudre pareil avec d’autres comédiens par la suite, sauf avec Tom Hardy et Ryan Gosling. Ce qui me fait beaucoup rire en revanche, c’est que tous les comédiens n’étaient pas du tout cinéphiles. Mads n’était pas cinéphile à l’époque, il ne savait rien du cinéma, il passait son temps à parler de sport ; du coup, Mads et moi n’avions aucun autre sujet de conversation que le film sur lequel nous travaillions. En réalité, nous ne partageons rien en commun. À l’époque, je conseillais aux acteurs et à l’équipe technique de voir des films de Stanley Kubrick, de William Lustig, de Quentin Tarantino, de Wong Kar-wai ; ce qui devait être très ennuyeux."
Selon Nicolas Winding Refn, Bleeder est intégralement basé sur ses souvenirs new-yorkais : "Copenhague est une ville très propre, ressemblant à une maison de poupées. Au moment du tournage, je recherchais des quartiers semblables au Lower East Side de New York, impossible de retrouver la même atmosphère à Copenhague. Pour décrire le personnage de Lenny interprété par Mads Mikkelsen, je me suis inspiré de mon année d’études à New York à 20 ans lorsque j’étais à l’American Academy of Dramatic Arts. Je passais mon temps à regarder des films. Seul dans un studio de West Village, je ne voyais personne, j’étais isolé de tous. L’ironie, c’est que Bleeder parle de cinéphiles, de ceux qui regardent des films, pas encore de ceux qui les font, et je le considère comme mon premier film autobiographique. Bronson est mon second film autobiographique parce qu’il parle de mon statut de cinéaste. Le personnage de Lenny que Mads Mikkelsen joue dans Bleeder est totalement ce que j’étais lors de cette année à New York et j’en étais aux prémices de mon idylle avec Liv Corfixen lors du tournage."
Bleeder est considéré comme le précurseur de Drive. NWR s'en explique : "Drive est un film de commande maquillé pour parler de ma relation avec Liv Corfixen. Carey Mulligan joue Liv dans Drive et la relation entre Mads Mikkelsen et Liv dans Bleeder annonce celle de Ryan Gosling et Carey Mulligan dans Drive. Il n’y a aucun entre-deux, c’est la violence et la douceur intrinsèquement liées et ce depuis le début", relate le réalisateur.