"Marie-Antoinette" commence avec un long voyage en calèche, celui qui conduit la jeune princesse jusqu'à Versailles, avec un passage à la frontière où elle doit se dépouiller de tout ce qui rappelle son pays natal, et donc son enfance. Violemment projetée dans l'âge adulte, elle court tout au long du film (qui balaie 19 ans de sa vie) après cette adolescence volée.
Il se termine par le début du voyage de 20 km en calèche, celui qui conduit le boulanger, la boulangère et le petit mitron jusqu'aux Tuileries, ramenés par le peuple de Paris (la populace, selon le scénario anglosaxon). Entre les deux, exceptée une virée nocturne dans un after masqué, toute l'histoire se déroule dans le huis-clos de Versailles, réplique de la maison familiale des Lisbon, ou de l'hôtel tokyoïte de Bob Harris et de Charlotte.
Une partie de la critique reproche à Sofia Coppola de s'être tapé l'incruste dans l'histoire de France et d'avoir posé un regard américain branché sur la fin du siècle des Lumières. Il y a bien quelques anachronismes (la cocarde tricolore du dauphin, presque vingt ans avant la prise de la Bastille, la fête masquée à l'Opéra-Garnier, presque un siècle avant sa construction), une place appuyée accordée à la guerre d'indépendance (les rares moments où Marie-Antoinette n'est pas à l'écran sont les conseils où le roi décide d'intervenir en Amérique). Le scénario a été écrit en se basant sur l'ouvrage de l'historienne anglaise Antonia Frazer, et certains clichés sont contestés par les historiens. Mais la réécriture de l'histoire pour parler de préoccupations contemporaines est le propre de la création artistique, et personne ne reproche à Shakespeare d'avoir trituré l'histoire romaine pour écrire "Titus Andronicus". Alors certes, on a parfois l'impression de suivre une biographie de Diana, la popularité en moins.
Mais le propos de Sofia Coppola est visiblement autre, et ce qui l'a intéressée dans cette histoire, c'est comment peut réagir une adolescente confrontée à un monde aussi éloigné du cocon de son enfance perdue, intérêt dont on peut trouver l'origine dans la propre histoire de la fille du réalisateur d'"Apocalypse Now". Ca, la jeune réalisatrice sait le filmer avec son style déjà si reconnaissable : suppression des repères narratifs, cadre aérien alternant steadycam, travelings et plans fixes, montage syncopé, pulsation donnée par la musique (le classique pour l'étiquette, le pop-rock pour les escapades de l'Autrichienne).
Elle sait saisir l'étrange, caméra subjective même quand Kisten Dunst est dans le champ : les courtisans poudrés, échos des morts-vivants du cinéma fantastique (clin d'oeil à la présence d'Asia Argento en Du Barry ?), les fous-rires enfantins contenus de la princesse, la répétition comique des scènes du rituel de la cour, jusqu'à la présence subliminale de Converse dans la collection de chaussures digne d'Imelda Marcos.
Mais Sofia Coppola n'a pas su échapper à la contradiction des cinéastes amenés à filmer l'ennui sans plonger leurs spectateurs dans ce même ennui. Que ce soit dans les pompes empesées ou dans la frénésie des fêtes versaillaises, ce qui nous est donné à voir avec une distance accrue par la musique et le rythme du montage est ce qui est donné à vivre à Marie-Antoinette, à savoir une répétition sans perspective et sans échappatoire, si ce n'est celle que connaît le spectateur.
Par moment enivrant, le film ne sort de sa langueur monotone (moi aussi, je peux pondre des anachronismes !) que par la fulgurance de certaines scènes où le talent de la princesse de la dynastie Coppola se rappelle au bon souvenir du cinéphile.
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